La ville qui n'aimait pas son roi
c’était l’usage pour les femmes de qualité –, le col raide et la tête bien
droite, elle répondit :
— M. de Rosny m’avait prévenue que le roi affectait désormais la simplicité. Nous l’aurions indisposé en nous présentant avec trop de magnificence. Mais ce n’est pas le cas du marquis d’O qui aime le luxe. Il s’attend à recevoir la fille du prince de Condé et un gentilhomme de Mgr de Navarre. Tu dois l’impressionner pour qu’il n’ait pas le sentiment que nous le traitons avec désinvolture. Nous devrions même être accompagnés de quelques pages et d’une dizaine d’écuyers et d’amis.
Olivier n’était pas convaincu, tout en trouvant drôle que ce soit une protestante dont la religion prônait la simplicité qui
parlât ainsi, mais il est vrai que Cassandre était désormais la fille d’un prince de sang, un homme dont l’élégance et le
faste avaient été réputés, et qu’elle avait à cœur de conserver le rang de sa famille.
L’hôtel acheté par le marquis d’O au financier Ludovic da Diaceto avait son entrée principale rue des Francs-Bourgeois. Avec
ses quarante et une pièces et sa galerie de parade, Nicolas Poulain leur avait expliqué que c’était le plus fastueux de Paris.
Par prudence, la double porte du porche, bardée de gros clous, était fermée, car O était détesté des Parisiens, mais deux
Suisses armés de mousquet et hallebarde étaient de faction dans de petites tourelles à meurtrière encadrant le portail. Venetianelli
annonça M. de Fleur-de-Lis et les ventaux s’écartèrent.
Ils entrèrent dans une belle cour carrée avec un grand escalier carré à balustres où se tenaient quelques gardes. Là, un intendant
les fit passer dans une antichambre où attendait Charles, le valet de chambre du marquis d’O qu’Olivier reconnut, puisqu’il
faisait partie de l’expédition chez Jehan Salvancy.
Par un large escalier à vis, Charles les conduisit jusqu’à une longue pièce d’apparat devant laquelle attendaient deux valets
en livrée.
Cassandre balaya la salle des yeux. Ce n’était pas une chambre mais plutôt une galerie richement meublée avec de hautes chaises
tapissées de motifs fleuris, des fauteuils à accoudoir à dossier de cuir, des coffres ciselés, un buffet et un dressoir surchargés
de faïences et de plats d’argent. Du côté de la cour, les arcades à colonnes se succédaient tandis qu’en face une cheminée,
encadrée de boiseries peintes, était surmontée d’un portrait du roi dans sa prime jeunesse. Sur les deux autres murs étaient
accrochées des tapisseries dont la plus grande représentait une bataille d’hommes en armure.
Une table couverte d’une épaisse nappe était dressée près du foyer avec, de part et d’autre, de gros bougeoirs à quatre pieds
supportant des cierges de cire parfumée.
Le marquis d’O les attendait, debout, en compagnie d’une frêle femme au teint diaphane et au regard triste vêtue d’une lourde
robe en velours aux manches ballonnées à la taille, avec une petite fraise au col. Lui, moustache relevée et barbe en pointe,
portait un pourpoint de satin jaune citron boutonné, avec des manches matelassées garnies de baleines d’où s’échappait par
des crevés du taffetas turquoise. Une écharpe de même couleur barrait sa poitrinetout en laissant voir une lourde chaîne d’or et une grande escarcelle à fermoir d’argent ciselé. Ses bas brodés et ses chausses
de soie mettaient en valeur ses jambes gainées de bottes souples en cuir de Russie. Une grande fraise amidonnée large de deux
pieds le contraignait à conserver la tête haute.
Il eut un sourire de contentement en découvrant que la fille du prince de Condé était si magnifique. La main sur la garde
en arceaux de l’épée que le roi lui avait offerte, il s’inclina avec beaucoup de raideur à cause de la fraise. Un peu à l’écart
se tenait le géant Sarmate, comme toujours en robe bordée de fourrure de renard avec son sabre courbe pendu à un baudrier.
Il n’y avait ni valet ni servante.
Les trois visiteurs s’inclinèrent à leur tour devant le seigneur d’O qui s’avança vers Cassandre et lui prit la main avec
une extrême solennité pour la conduire à la femme au regard triste.
— Mon épouse, fille du seigneur de Villequier. Charlotte, dit-il en s’adressant à elle, Mme de Saint-Pol est fille de feu Mgr Louis de Bourbon. Voici son
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