La ville qui n'aimait pas son roi
nous l’aimons, répondit-il dans un sourire chaleureux.
Deux jours plus tôt, en rentrant chez lui à l’issue de la réunion de la sainte union, Nicolas Poulain avait déjà oublié la
boîte ciselée de l’horloger. L’abominable dessein des ligueurs prévu pour le jour de Quasimodo occupait alors entièrement
son esprit. Il avait beau se dire que les précédents projets de la sainte union contre le roi avaient tous échoué, il ne parvenait
pas à se rassurer. Pour la première fois trente mille hommes alliés à l’armée du duc de Guise allaient se dresser contre le
roi.
Le lendemain avant même le lever du soleil, vêtu d’un sayon de crocheteur, il se rendit jusqu’à la rue des Petits-Champs.
En chemin, il s’arrêta à un marchand pour acheter un petit pâté chaud et vérifia que personne n’était derrière lui. Il y avait
une écurie à l’angle de la rue du Coq. Il y entra pour ressortir par une porte de derrière et, ayant encore observé la rue,
il la traversa et remonta la rue des Petits-Champs. Assuré de ne pas être suivi, il s’engagea rue du Bouloi et entra dans
l’hôtel de Losse.
Pasquier, le valet de chambre, le conduisit aussitôt auprès du Grand prévôt auquel il raconta ce qu’il avait appris. Quand
il eut fini, le Grand prévôt resta encore plus sombre que d’habitude.
Comme toujours, la salle de travail de François du Plessis était glaciale. Un feu de fagots venait à peine d’y être allumé et Nicolas frissonna. Pourquoi le Grand prévôt restait-il ainsi muet?
— Sa Majesté est son propre ennemi, lâcha finalement Richelieu. Le roi est continuellement balancé entre ceux comme moi, Épernon et O qui le supplions d’affronter ouvertement Guise, et ceux qui lui conseillent l’accommodement, lui assurant que le duc reste son fidèle sujet et ne dirige la Ligue que pour la retenir.
Il ne nomma pas ces derniers mais Poulain comprit qu’il s’agissait de la reine mère et de Villequier.
— Il y a pourtant le traité de Joinville par lequel M. de Guise et sa famille se sont alliés à l’Espagne et ont décidé quelle serait la succession du royaume! s’insurgea Nicolas.
— Oui, mais Sa Majesté ayant donné des gages avec le traité de Nemours, les partisans de l’accommodement sont persuadés que Guise n’a plus besoin de prendre le pouvoir par la force. Le roi voudrait les croire pour éviter un bain de sang. Je pense que vous êtes le seul capable de lui dessiller les yeux. Vous n’êtes d’aucun parti, et si vous lui racontez ce que vous avez entendu, il vous écoutera comme il l’a déjà fait il y a trois ans.
— Comment pourrais-je lui parler, monsieur? s’enquit Poulain en écartant les mains.
— Cela me prendra quelques jours pour convaincre Sa Majesté de vous recevoir. Restez à Paris cette semaine, je vous ferai chercher.
En arrivant chez lui, son beau-père l’interpella depuis l’ouvroir du Drageoir Bleu :
— Nicolas, les marchands de notre rue ont peur. Ils affirment même ressentir ce qu’ils ont éprouvé les jours précédant la Saint-Barthélemy. Toutes sortes de rumeurs circulent. On parle de l’arrivée du duc de Guise qui viendrait avec ses régiments d’Albanais dans moins d’une semaine. D’autres assurent que le roi sera chassé sous peu. Que sais-tu? Devons-nous quitter la ville? Mais pour aller où? Et que deviendrons-nous si on pille la maison?
Nicolas ne pouvait répondre à ces questions. En cachant ses craintes, il tenta de le rassurer, mais sans croire à cequ’il disait. Il se rendit ensuite à la maison d’Olivier où il rencontra Le Bègue pour lui demander de préparer des provisions
et d’entreposer de l’eau, au cas où une insurrection éclaterait. C’est dans l’après-midi qu’il reçut le page du marquis d’O,
un jeune homme de quatorze ans, déjà plein de suffisance comme son maître.
— M. le marquis vous demande de prévenir M. de Fleur-de-Lis et son épouse qu’il les attend à dîner demain à cinq heures.
— Qui me prouve que vous êtes au marquis?
— M. le marquis a rencontré M. de Fleur-de-Lis dans la chambre du roi mardi, monsieur! répliqua le jeune homme d’un air courroucé.
Nicolas le laissa repartir sans l’interroger davantage. Pour quelle raison le seigneur d’O voulait-il rencontrer Olivier et Cassandre? Il n’avait pas revu ses amis depuis leur arrivée, jugeant prudent de ne pas se rendre à la tour. Si ce page
Weitere Kostenlose Bücher