La ville qui n'aimait pas son roi
D’ailleurs aller à Belcastel nous ferait faire un gros détour.
— Comme vous voulez.
Elle repartit aux cuisines pendant qu’il se levait, laissant quelques pièces.
— Nous avons été très heureux de vous connaître messieurs, tu viens François?
Caudebec se leva à son tour. Les deux chirurgiens les saluèrent assez froidement et ils sortirent. Une fois dehors, ils s’éloignèrent
de l’hôtellerie.
— L’affaire tournait à l’aigre, dit Olivier avec un soupir de soulagement. Ces deux-là allaient nous poser des questions et se seraient vite aperçus de notre imposture.
— Et surtout la femme était bien capable de nous présenter Boisdauphin!
— N’empêche qu’il est dommage de ne pas l’avoir vu. Nous ne pourrons le reconnaître si nous le croisons…
— Ce que nous avons appris est déjà pas mal. Et puis, Nicolas le connaît, il y aura peut-être une autre occasion de le rencontrer. En revanche, le capitaine Clément m’intéresse…
— Cet ivrogne? Pourquoi?
— Ce Pierre Bordeaux, qui a voulu tuer Mgr de Navarre, vivait avec son cousin Jacques à la Croix-de-Lorraine. Or la mère de Jacques se nommait Clément, notre capitaine Clément pourrait bien être le cousin. Si seulement nous connaissions son prénom!
— Si c’était lui, il connaîtrait le curé qui a soudoyé Bordeaux.
— Sans doute. Mais pour le savoir, il faudrait le retrouver et vérifier qu’il se prénomme Jacques. Il devrait ensuite être facile de l’interroger, surtout s’il est toujours ivre. Faisons déjà un peu le tour du quartier, peut-être allons-nous le revoir.
Ils se promenèrent jusqu’à midi dans l’Université, mais n’aperçurent pas le capitaine Clément. Sans doute cuvait-il son vin
dans quelque bouge. Finalement, ils rentrèrent à la tour, car l’après-midi, ils jouaient aux Halles.
En chemin, Caudebec signala à Olivier quelque chose qu’il avait remarqué.
— Le recteur du collège, le gros… c’était peut-être un protestant.
— Comment le sais-tu?
— Il jouait avec un méreau.
Le matin de ce même mardi 26 avril, M. de Petrepol se présenta au Drageoir Bleu à cheval, sans valet ni escorte. Il acheta
des dragées avant de demander à la jolie marchande si elle connaissait Nicolas Poulain.
— C’est mon époux, monsieur. Il est en haut, voulez-vous que je l’appelle?
— Non! Écoutez-moi bien, madame, dit-il doucement mais d’une voix hachée. Votre mari me connaît, je suis le seigneur de Petrepol. Allez lui dire que Sa Majesté l’attend. Qu’il ne tarde pas. Qu’il passe par le pont dormant. Ne parlez de ma visite à personne. Il en va de votre vie et de la sienne.
Sans dire un mot de plus, il reprit son chemin dans la rue Saint-Martin.
Aussitôt prévenu, Nicolas se rendit au Louvre. Dans la salle des gardes devant le pont dormant, l’huissier l’attendait en
compagnie d’un homme au visage en lame de couteau, au front haut et ridé, au nez aquilin et aux pommettes creuses avec une
minuscule barbe et une touffe de poils au menton. En cuirasse de fer et un casque à la main, il portait une lourde épée de
cavalier à la taille. C’était le colonel Alphonse d’Ornano qui commandait la garde corse du Louvre.
Le père d’Alphonse d’Ornano, Sanpiero de Bastelica, avait été compagnon de Bayard, puis s’était battu pour détacher la Corse
de Gênes avant de devenir colonel du régiment corse au service d’Henri II. Il y avait gagné le surnom de Corso, nom par lequel
on appelait aussi son fils Alphonse qui préférait pourtant utiliser celui de sa mère, Vanina d’Ornano, comme c’était l’usage
en Corse. Le père et le fils étaient des hommes durs, à la fidélité intransigeante. Sanpiero de Bastelica avait étranglé Vanina
qui l’avait trahi et Alphonse avait poignardé un de ses neveux qui avait manqué à son devoir militaire.
En suivant des galeries puis par un étroit escalier dans l’épaisseur d’un mur, Ornano le conduisit jusque dans un grand cabinet
où se trouvaient trois hommes autour du roi : le seigneur d’O, le duc d’Épernon, et M. de Guiche qu’il avait croisé au Palais.
— Monsieur Poulain, enfin! s’exclama le roi, qui paraissait agité, je veux connaître votre opinion! On m’alarme en m’annonçant que le duc de Guise a fait entrer en ville des centaines de gentilshommes. D’autres m’ont assuré qu’Aumale a cantonné un gros régiment d’Albanais à
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