La ville qui n'aimait pas son roi
s’installaient chez les grandsseigneurs, à proximité des couvents ou des hôpitaux, et travaillaient en chambre, sans tenir de boutique, on les appelait chambrellans.
— Nous arrivons de Toulouse, monsieur le recteur, expliqua Olivier.
— Ah!
— Connaissez-vous maître Ambroise Paré, monsieur? leur demanda le grand osseux.
— Pas personnellement, monsieur.
— Nous le connaissons, puisqu’il est maître au collège de Saint-Cosme comme nous, mais j’aurais apprécié votre opinion. Vous avez lu ses œuvres?
— Euh…, bien sûr.
— Donc vous venez de Toulouse? Peut-être connaissez-vous le pauvre client de cette auberge qui a été tué par des malandrins devant la porte.
— Toulouse est une grande ville, monsieur, remarqua prudemment Olivier.
— Ah bon? Je n’y suis jamais allé.
— J’irai égorger le cyclope navarrais, qui se repaît de la chair des bons catholiques et ne s’abreuve que de leur sang! hurla une voix qui fit sursauter tout le monde.
Ils se tournèrent vers le jeune ivrogne qui venait de se réveiller.
— Le capitaine Clément commence à faire des siennes!
— Vous le connaissez? sourit Olivier.
— Je lui ai extrait quelques dents gâtées, soupira le maigre. Qu’il ne m’a d’ailleurs pas payées.
— Courage, messieurs, allons prendre ce bougre de roi dans son Louvre! lança l’ivrogne en se levant et en s’approchant d’eux en titubant.
» Vive Guise! Vive le pilier de l’Église! cria-t-il en s’écroulant sur un banc.
— Dites donc, celui-là n’aime ni le roi ni Navarre, s’esclaffa Caudebec.
— Qui les aime? demanda le grand maigre, pendant que le recteur restait silencieux, manipulant machinalement une petite médaille.
La tavernière arriva, attrapa l’ivrogne par l’épaule et le fit sortir en le bousculant. Elle revint en s’excusant.
— Qui est-ce? demanda Olivier.
— Un pauvre fou! Il a logé ici quelques mois mais ne pouvant plus payer sa chambre, je l’ai mis dehors. Il revient parfois avec ses amis quand il a grappillé quelques sols. Il se paye alors une garce vérolée et boit le reste en paradant sur son courage.
— Vous l’avez appelé capitaine, remarqua Caudebec.
— Tout le monde l’appelle ainsi! dit-elle en haussant les épaules. Peut-être a-t-il été soldat, bien qu’il me paraisse un peu jeune. Je crois plutôt que c’est un sobriquet tant il veut conduire la bataille contre l’hérésie. (Elle se signa.) Monsieur le recteur, je vous porte votre bouillon habituel?
— Oui, madame Catherine. Je parlais justement de votre malheureux client à mes confrères qui viennent de Toulouse. Vous savez, celui trouvé mort roué de coups devant chez vous, il y a une quinzaine.
— Le petit jeune homme? M. de Boisdauphin qui l’attendait en a été très ému quand je le lui ai dit. Mais il ne venait pas de Toulouse, il arrivait d’Albi!
— Maintenant que vous me le dites, je m’en souviens, mais Albi n’est pas loin, je crois, ces messieurs auraient quand même pu le connaître.
— Comment s’appelait-il? demanda Olivier, tous les sens en alerte depuis qu’elle avait mentionné Boisdauphin.
— Belcastel! Il était gentilhomme, affirmait-il. Il attendait M. de Boisdauphin. Et maintenant il repose dans une fosse aux Saints-Innocents. Sa famille doit s’inquiéter pour lui. Peut-être pourriez-vous les prévenir en revenant à Toulouse?
— Certainement, déclara Olivier d’une voix blanche.
Ainsi, Belcastel était bien venu à la Croix-de-Lorraine à la demande de Boisdauphin! Si le page avait un rapport avec la mort de Condé, Boisdauphin aussi. Mais alors quel était le rôle de madame la princesse? Avait-elle tuéson mari? Elle attendait la mort dans sa prison de Saint-Jean. Et si elle était innocente, comme en était persuadée Cassandre? Il fallait que Navarre apprenne tout cela rapidement.
— Nous pourrions ramener ses affaires à Albi, proposa-t-il en pensant qu’il y aurait peut-être des papiers intéressants.
— Pas à Albi, à Belcastel, monsieur. Sa famille est là-bas. J’avais conservé ses bagages, mais monsieur le marquis de Boisdauphin qui était son ami les a pris. Je peux les lui demander. Il ne va pas tarder à descendre.
Surtout pas! se dit Olivier.
— C’est inutile! Si ce monsieur les a, il fera le nécessaire. Nous ne tenons pas à nous mêler des affaires de gentilshommes, dit-il sèchement. Nous ne sommes que des barbiers chirurgiens.
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