La ville qui n'aimait pas son roi
lui que s’étaient portés tous les soupçons. Seul Jean Le Clerc l’avait défendu
en rappelant qu’il avait informé le lieutenant du prévôt de plusieurs projets dont le roi n’avait pas eu connaissance, ce
qui prouvait bien sa loyauté. De surcroît, avait-il ajouté, c’était tout de même Poulain qui avait armé les ligueurs parisiens.
Le Clerc défendait désormais l’idée que le traître était l’échevin Le Comte qui avait refusé de donner les clefs de la porte
Saint-Martin à l’union. C’est lui qu’il fallait pendre, exigeait-il. M. de La Chapelle lui avait tristement rappelé qu’il
avait déjà désigné d’autres félons, que ceux-ci avaient été jetés dans la Seine, le ventre ouvert, mais que rien n’avait changé.
— Mes amis, êtes-vous certains qu’il y a un traître? osa Poulain avec une mimique dubitative. Dans une entreprise comme la nôtre, tant de gens sont dans le secret qu’il est inévitable que des proches du roi apprennent des bribes de nos échanges. La semaine dernière, bien des cabaretiers savaient déjà ce qui allait se passer pour la Quasimodo! Nous sommes assez forts pour ne pas tenir compte de ces indiscrétions. Le roi a fait venir un millier de cuirasses? La belle affaire! Ce ne sont pas les cuirasses qui vont se battre, et nous sommes trente mille! Il ne fallait pas changer nos plans pour si peu!
L’aveuglement de Le Clerc envers celui qu’il prenait pour son ami était tel qu’il l’appuya. Il fallait être audacieux et prendre Paris et le Louvre sans attendre! décréta-t-il. La Chapelle parut indécis, mais la plupart des membres du conseil restèrent réticents. La vérité est qu’ils avaient peur. Ils souhaitaient être derrière l’armée du duc de Guise, et non au premier rang. Ils mouraient de crainte à l’idée d’affronter seuls les troupes royales tant ils redoutaient que l’affaire tourne en une boucherie dont ils seraient les victimes.
Poulain l’avait deviné, et il savait que son audace freinerait l’enthousiasme des ligueurs, aussi, ce soir-là, rien ne fut
décidé.
1 Au 6 rue des Cordeliers.
15.
Les quatre jours suivants, déguisés en crocheteurs, Caudebec et Olivier se rendirent tous les matins dans le quartier de l’Université à la recherche du capitaine Clément. Évitant les endroits où on l’avait connu, Olivier explora plusieurs cabarets fréquentés par les écoliers et les clercs. Quelques questions adroites permirent de savoir que Clément sortait surtout le soir, car le matin il cuvait son vin ou il dormait encore avec quelque garce. Quel était son prénom? Certains assurèrent que c’était Jacques, mais d’autres que c’était Jean. Ils n’apprirent rien de plus.
Ces recherches, qu’ils ne pouvaient poursuivre les après-midi, car ils jouaient aux Halles avec les Enfants sans souci, ne
leur apportèrent pas grand-chose et s’arrêtèrent à la fin de la semaine, puisqu’à compter de ce moment-là, ils devaient s’occuper
du convoi d’or du duc de Guise.
Le dimanche 1 er mai, après avoir assisté à la messe à Saint-Eustache avec les comédiens, Caudebec se rendit seul à la porte Saint-Martin
tandis que Cassandre et Olivier gagnaient la porte Saint-Denis. Le couple s’installa devant les fenêtres en verre dépoli de
l’auberge du Renard Rouge, en face de la fontaine du Ponceau. Cette fontaine, construite en hémicycle à l’angle du couvent
des filles de Sainte-Catherine, était aussi appelée fontaine de la reinedepuis que Catherine de Médicis y avait fait poser une statue de déesse sculptée à sa ressemblance.
Aux alentours de la porte Saint-Denis, la rue n’était plus qu’un chemin de campagne bordé d’un côté par le couvent des Filles-Dieu
et de l’autre par des potagers, des jardins et quelques éparses maisons à pignon. Plus haut, à proximité de la vieille enceinte,
il n’y avait plus que des friches et quelques masures occupées par des gueux et des truands.
Olivier avait choisi l’auberge du Renard Rouge parce qu’elle se situait devant la fontaine. C’était le plus important point
d’eau du quartier et la foule s’y pressait continuellement. De surcroît, comme l’eau s’écoulait dans un ruisseau sur lequel
il y avait eu jadis un petit pont – le ponceau qui avait donné le nom au point d’eau –, les encombrements y étaient permanents
aussi ils ne pourraient manquer le convoi des hospitaliers s’il passait
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