La Violente Amour
roulant en tous sens des yeux noirs, effarés et craintifs. Je
n’oserais affirmer qu’il avait les oreilles rabattues en arrière comme un
lièvre, et décrois, ici comme peu vraisemblable, l’image qu’a gardée de lui ma
remembrance. Quoi qu’il en soit, le dernier ave mâchonné, et sa paume à
peine graissée par mon confortant écu, il escampa.
— Benoîte
Vierge ! dit Tronson, voilà de l’ouvrage de bon Dieu faite à la
diable ! Bredin-bredac ! Viens-tu ! vas-tu ! Ce n’est point
parce que le mort est petit, qu’il faut le petitement prier ! Ventre
Saint-Antoine ! Si je façonnais mes cercueils, comme ce moine ses prières,
la terre et les vers les déferaient en six mois. Guillaume, pellète-moi cette
glèbe dessus le pauvret et doucement.
Mais comme
Guillaume achevait, le gros Poussevent vint me dire à l’oreille :
— Moussu,
je vois des feux follets.
Si bas qu’il
eut parlé, il fut ouï et il y eut soudain parmi les compagnons menuisiers
trémulation et commotion, suivies d’un grand silence, témoignant d’une grande
envie d’être ailleurs, tant est que même Tronson, tant bien fendu de gueule
qu’il fût, s’accoisa, et s’il eût osé, je gage, eût de soi sonné le
boute-selle.
— Ha
bah ! dis-je, compagnons ! Des feux follets ! Voilà qui est
étrange ! Des feux follets qu’on dit l’œuvre du diable sur une terre bénie
et consacrée, je le décrois ! Et pour en avoir le cœur net, j’y vais jeter
un œil. Espérez un petit.
— Moussu,
je vous suis, dit Miroul.
— Moi
aussi, dirent d’une voix Pissebœuf et Poussevent.
— Que
nenni vous deux ! Vous resterez en renfort de Maître Tronson, lequel en
mon absence je nomme mon lieutenant !
L’ayant ainsi
décoré de ce titre afin qu’il ne s’ensauvât pas – la vanité étant le
meilleur auxiliaire du courage – je pris de prime avec moi une lanterne,
laquelle, un coin de lune apparaissant, du fait des vagabonds nuages, je
laissai là, après coup, ne voulant pas qu’elle décelât mon approche, ayant pour
me guider cette tant faible lueur dans le coin le plus reculé du cimetière où
Poussevent avait cru voir des feux follets. Toutefois, comme nous avancions
parmi les tombes, cheminement difficile – les racines et les ronces nous
prenant malignement les pieds – la lueur grandit jusqu’à devenir flamme
devant laquelle des ombres humaines s’exagitaient, nous la cachant quand et
quand.
Il me sembla
bizarre qu’on eût allumé du feu pour se chauffer en un tel lieu, et au mois
d’août, par une nuit si tiède. Les contes de L’Étoile me revenant alors en
mémoire, je décidai d’avancer plus outre, maugré que Miroul me serrât le bras à
deux reprises pour m’aviser de n’en rien faire. Et ce que je vis, quand je fus
à bonne portée, les ombres s’étant écartées de devant le feu pour le mieux
arranger, tant me glaça le cœur de pitié et d’horreur que je fus un moment sans
branler, des frissons me parcourant le dos, la sueur ruisselant sous mes
aisselles et mon cheveu se dressant sur le chef – expression que je cuidai
très exagérée avant d’avoir éprouvé à cet instant même, pour la prime fois de
ma vie, la sensation qu’elle décrit.
Miroul
derechef me serra le bras sans mot piper et lui cédant cette fois, je répondis
à sa pression et nous commençâmes, de compagnie, une retraite dans des
dispositions d’esprit si troublées qu’elle ne se fit pas, cette fois, sans
quelque noise. Laquelle, la Dieu merci, n’attira pas l’attention de ces
misérables, leur feu, à ce moment, s’étant mis à grésiller.
Comme nous
allions atteindre nos gens, que dominait la massive silhouette de Tronson,
Miroul me requit de m’arrêter un petit. Ce qu’ayant fait, je le vis, à la
clarté de la lune, allongé à demi sur une tombe, occupé à raquer ses tripes. À
cette vue, j’en eusse fait bien autant, à ce que je cuide, si je n’avais eu sur
moi un petit flacon d’eau-de-vie qu’au combat j’emporte toujours et que je
passai à Miroul après en avoir bu une gorgée. Après quoi, je vis mon pauvre
Miroul qui se frottait les joues, se peut pour chasser sa pâleur, ayant
vergogne à paraître si décomposé devant nos arquebusiers, lui qui les
commandait.
Dès que
j’apparus, le cercle de nos gens se referma autour de moi, tous fort accoisés
et qui s’accoisèrent, si faire se peut, davantage, dès qu’ils m’eurent ouï.
Mais ce silence
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