La Violente Amour
Dieu ! dit Gerzé en riant, Monsieur de Rosny, avez-vous peur ?
— Je n’ai
plus peur pour mon bien, Messieurs, puisque le voilà en sûreté. Quant à moi,
quand M. de Mayenne fondra sur vous, avec votre permission, je viendrai mourir
à vos côtés sur ces chétives barricades.
En quoi il fut
mauvais prophète, car, plus heureux que les trois maîtres de camp, il réchappa
du combat sans une égratignure. Le beau Rubempré fut blessé aux deux gambes et
boita le reste de sa vie. Crillon eut le corps traversé d’une arquebusade dont
miraculeusement il guérit. Le pauvre Gerzé fut tué roide. Sa poitrine arrêta
une balle d’arquebuse moins bien que cette terre qu’il n’avait voulu remuer.
Mais
j’anticipe. Et puisque j’anticipe, lecteur, plaise à toi de me permettre de le
faire plus avant. On sut quatre mois plus tard, en août, à l’occasion d’un
procès qu’on fit à Tours à quelques ligueux qu’on pendit, que ce parti, fort
puissant en la ville, avait au jour le jour informé Mayenne par le menu de tout
ce qui s’y passait : de l’arrivée de Navarre, de sa réconciliation avec le
roi, de son départ pour Chinon ; du faible nombre et de la disposition des
troupes royales, partie au faubourg de Saint-Symphorien au nord, partie au
faubourg de Saint-Pierre-des-Corps à l’est ; des chétives défenses de
Saint-Symphorien ; de l’habitude qu’avait le roi de s’aller chaque matin
promener à cheval, et franchissant le Pont de Tours, de traverser
Saint-Symphorien et de gagner la Membrolle, site où il se plaisait à galoper.
Ces
intelligences amenèrent Mayenne – lequel avait ce genre de finesse qu’on
s’étonne d’encontrer chez les bedondainants – à concevoir deux plans, le
second venant à la rescousse du premier, si celui-ci venait à faillir.
Cheminant toute la nuit son armée du Vendômois à Tours, et atteignant le lundi
8 mai au matin les alentours de Saint-Symphorien, il devait mettre une
embuscade à la Membrolle au lieu où le roi était accoutumé à faire son galop et
le capturer. S’il faillait à le surprendre et le saisir, son armée, qui était
bien supérieure à celle dont le roi disposait à Tours, attaquerait
Saint-Symphorien sur trois côtés, mais par escarmouches et lentement, afin que
le roi eût le temps de faire passer ses Suisses de Saint-Pierre-des-Corps à
Saint-Symphorien en renfort des assaillis. Tours se trouvant alors dégarnie de
forces royales, les ligueux intra muros sonneraient le tocsin,
prendraient les armes, saisiraient le roi et se rendraient maître de la ville,
tandis que lâchant à la parfin les chiens, Mayenne, à Saint-Symphorien,
accablerait les royaux sous le nombre.
Ces deux plans
de Mayenne, l’un commandant l’autre, témoignaient d’une assez émerveillable
adresse : si le premier tournait à bonne heure, Mayenne capturait le roi.
Si le second triomphait, la ville le lui livrait et se donnait à lui. Dans les
deux cas, la face de l’Histoire en eût été changée, notre alliance avec Navarre
tuée dans l’œuf, le parti des politiques annihilé et Sa Majesté elle-même
sacrifiée ignominieusement en Paris aux mânes du Guise.
Peu se doutait
le roi, tout au bonheur et à l’espoir nouvelet que lui donnait son
accommodement avec Navarre, de ces toiles où la Ligue le voulait engluer, quand
au matin du 8, le ciel étant fort beau en la douce lumière des pays de
Loire – lumière à mon sentiment semblable à aucune autre qu’ailleurs je
vis jamais – il décida, comme à l’accoutumée, de s’aller promener au-delà
du Pont de Tours et de Saint-Symphorien jusqu’à la Membrolle, suivi de François
d’O, du maréchal d’Aumont, de Bellegarde, de Rosny, de moi-même et d’une
dizaine d’autres seigneurs, tous, comme leur souverain en pourpoint, et n’ayant
d’autres armes que leurs épées.
Or à peine
avions-nous monté le chemin qui menait à la Membrolle et passé la dernière
barricade qui défendait l’entrant de Saint-Symphorien, à l’endroit où le chemin
tout soudain se creuse, que nous encontrâmes un vieil homme qui s’en revenait
au faubourg tout courbé sous un grand sac d’herbe qu’il avait, se peut, coupée
pour ses lapins en quelques communaux qui sont du côté de delà. À sa vue, mon
bien-aimé maître en sa bénignité brida son cheval et fouillant en son
escarcelle, lui jeta une piécette. Le manant, surpris, la ramassa et levant la
tête pour mercier, reconnut le roi
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