La Violente Amour
travers un nouveau venant, au surplus
huguenot, qui leur voulait bailler leçons. Et il faut dire aussi que lesdites
leçons tombaient sur eux d’assez haut, Rosny se paonnant prou de l’expérience
qu’il avait gagnée sous Navarre depuis dix ans, et comme on a vu déjà, bien que
fort bon et bénin en son cœur, il montrait telle roidesse et hauteur en son
abord qu’elles pouvaient bien, par contrecoup, escarper autrui contre lui.
Navarre lui-même eût pâti de cette disposition d’esprit de Rosny, s’il n’y
avait opposé le souple enjouement de son humeur gaussante – arme qui lui
était propre et qu’il maniait bien plus souvent, et à meilleur effet, que la froidure
ou le rebèquement.
Deux jours
après le département de Navarre, M. de Rosny, suivi de son écuyer (lequel
s’appelait La Vergne), de moi-même, et du fluet petit page que Navarre lui
avait donné, lequel, à ne pas y croire, s’appelait Moineau, alla reconnaître
les défenses du bourg de Saint-Symphorien, opinant que Charles de Mayenne, qui
occupait Vendôme, ne pourrait attaquer Tours que par le nord, pour la raison
que s’il voulait l’attaquer à l’est et à l’ouest, il devrait traverser la Loire
et se trouver fort incommodément entre Loire et Cher, cette position au
confluent des deux rivières le fourrant dans une nasse dont la retraite ne
serait pas facile.
Or,
Saint-Symphorien, comme j’ai dit, est un faubourg sur la rive droite de Loire,
au nord de Tours, dont il est séparé par ce grand pont que Navarre, Gerzé, le
page Moineau et moi-même franchîmes à l’aube du premier mai pour visiter le
roi. Il est sis au bas d’un coteau et n’est d’aucun côté fermé par un obstacle
naturel, tant est que l’ennemi y peut pénétrer de tous les côtés à la fois, à
moins qu’on ne rempare et qu’on ne fortifie les routes, rues et allées qui y
donnent accès. Et M. de Rosny, les reconnaissant une à une et les trouvant fort
mal défendues, le dit tout de gob aux maîtres de camp.
— Mais
nous y avons dressé des barricades, dit Gerzé.
— Lesquelles
ne valent rien, dit Rosny d’un ton abrupt.
— Monsieur,
dit Crillon d’un air piqué, plaise à vous de nous apprendre la guerre, puisque
vous la savez mieux que nous.
— Je n’y
prétends pas, Monsieur, dit Rosny, mais quand on a peu de monde, comme c’est le
cas céans, et pas de canons du tout, ceux-là étant à Tours, il y faut de
l’obstacle, et pour ceux que je vois céans, je n’en donnerais pas un carolus.
Ceci n’était
pas pour les maîtres de camp fort plaisant à ouïr, car le carolus, forgé par
Charles VIII, et décrié par Louis XII, ne valait pas plus que dix
deniers.
— Et qu’y
eût-il fallu, Monsieur ? dit non sans quelque ironie M. de Rubempré,
lequel était un fort beau jeune homme, l’œil bleu et le cheveu blond.
— Les
faire plus hautes et plus larges. Monsieur. Les flanquer à l’avant d’un fossé
profond qui ne ménageât qu’un étroit passage pour les chariots et les
cavaliers ; et ce passage lui-même coupé de chicanes pour prévenir les
surprises. Et enfin, garantir votre barricade à dextre et à senestre pour
l’empêcher d’être enfilée par les arquebusades.
— Cela
est bel et bon, mais il y faudrait un siècle ! dit Crillon avec un sourire
gaussant et en donnant le clin d’œil à Gerzé et à Rubempré comme pour se
gausser de la prétention de Rosny à légiférer sur eux.
— Avec
vos mille hommes, dit Rosny, il y faudrait deux jours.
— Mordedienne !
dit Gerzé non sans quelque dédain, tant remuer de terre, c’est travail de
laboureur, point de soldat !
— Pour
arrêter une balle d’arquebuse, mieux vaut terre que poitrine, dit Rosny.
— Pour
moi, dit Rubempré non sans quelque impatience, j’opine que nos barricades sont
bonnes assez.
À quoi Gerzé
et Crillon hochèrent la tête en signe d’assentiment, encore qu’ils me parussent
plus piqués par les façons de Rosny que décroyant ses raisons.
— Messieurs,
dit Rosny haussant haut le sourcil, je vois que mes avis sont déprisés. Je vous
salue bien, et suis, Messieurs, humblement dévoué à votre service (cet
« humblement » étant prononcé avec une incrédible hautesse). La
Vergne, poursuivit-il en se tournant vers son écuyer, allez incontinent à ma
maison de Saint-Symphorien, sellez mes chevaux, chargez mes bagues et menez le
tout dedans la ville et m’y trouvez à loger.
— Par la
sang
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