La Violente Amour
frémissement de joie, retrouvant mon
bien-aimé maître après quatre mois d’absence, je l’envisageais de tous mes yeux
et l’oyais de toutes mes oreilles, tandis qu’il discourait en son « parler
exquis », assis sur sa chaire d’apparat en sa majestueuse immobilité,
vêtu, non de velours cette fois, mais de satin violet, ce 1 er mai
étant si tiède, et ce violet-là portant le deuil de Catherine de Médicis –
la reine-mère, ayant peu de temps après le Guise, mais plus naturellement que
lui, quitté ce monde d’intrigues, auquel elle avait, étant vive, apporté plus
qu’aucune autre sa part de brouilleries.
Cependant, ce
satin violet qui tant allait à sa peau mate, le roi l’avait relevé de toutes
les perles dont il raffolait, et lui-même, à le voir du premier coup d’œil,
paraissait, comme j’ai dit déjà, comme la pensée m’en frappa de nouveau avec
force, profondément différent en sa langue, ses mœurs, sa vêture, ses
habitudes, ses croyances, ses mystiques inquiétudes du rude, rufe et fruste
visiteur qui le confrontait en son pourpoint gris râpé, si impatient de rester
assis que je voyais quasiment ses muscles se raidir en la violence qu’il se
faisait pour demeurer sur son escabelle ; au surplus, sentant le soldat de
cap à pié, et le sentant même littéralement, suant prou et se lavant peu, pour
ce qu’il n’en trouvait jamais le temps, sauf quand ses garces l’en pressaient.
Et toutefois, malgré ces dissemblances – mon maître étant si raffiné, si
italien – on ne pouvait que percevoir, pourtant, entre eux une profonde
connivence, fondée sur la grande amour qu’ils portaient l’un et l’autre à la
paix et à leur peuple, fondée aussi sur la grandissime estime que chacun nourrissait
pour la finesse de l’autre et leur commune fermeté à défendre le principe de la
succession monarchique contre la Ligue et l’Étranger.
Laquelle
Ligue, pourtant, et lequel Étranger, le second nourrissant la première en écus
et soldats pour entretenir la rébellion, le roi paraissait redouter beaucoup
moins, malgré l’excessive urgence du péril, que l’excommunication dont le pape
le menaçait.
— N’est-ce
pas, s’écria-t-il d’emblée avec véhémence, comme s’il voulait exprimer à la
pique du jour le pensement qui l’avait tourmenté la nuit, un scandaleux abus
que cette confusion du temporel et du spirituel, laquelle mutine les vassaux et
sujets contre leur souverain naturel, et renverse les fondements de l’ordre
politique ? Si l’on accepte le droit que s’arroge le pape d’excommunier
qui bon lui semble, voilà le pape maître de toutes les couronnes sur toute
l’étendue de la chrétienté, et libre de les ôter à qui les doit porter, à qui
les porte même…
J’abrège ce
discours qui fut couché, bien qu’improvisé, en élégant français et que Navarre
(quoi qu’il en pensât) ouït en refrénant sa naturelle impatience, et auquel il
fit une réponse des plus brèves (que je connaissais déjà) mais si solide,
substantifique et pertinente en sa claire vision des réalités de ce monde que
le roi lui-même en fut frappé et tout de gob, s’en apazima :
— Ha !
Sire ! dit Navarre de sa voix occitane, rocailleuse et bon enfant, le seul
remède à cette excommunication dont vous êtes menacé est de vaincre et bien
battre la Ligue. Car dès lors que vous l’aurez vaincue et battue, n’en doutez
pas, Sire, vous serez incontinent absous et désexcommunié. C’est toute
l’affaire.
— Eh
bien, dit le roi, puisqu’il s’agit de découdre la Ligue, qu’opinez-vous des
chances que nous y avons ?
— Fort
mauvaises, dit Navarre, de présent. Fort bonnes, si nous le voulons. Avec la
même farine, on ne fait pas le même gâteau.
À quoi le roi
sourit et leva le sourcil, et je vis bien que sans vouloir quérir Navarre de
s’expliquer plus avant, sa mine le lui permettait.
— Ha !
Sire ! s’écria Navarre, je puis, je pense, vous bailler conseil plus
hardiment que personne. Car étant votre héritier, que vous avez hautement avoué
et soutenu contre vents et marées, et au péril même de votre trône, nul n’a
tant d’intérêt à votre grandeur et conservation que moi, et nul ne peut vous
aimer tant que moi, qui n’aurais que mon droit tout nu, si vous ne m’aviez pas
proclamé votre successeur – à la grande ire des Guisards – après la
mort du duc d’Alençon.
— Mon
frère, dit Henri qui
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