La Violente Amour
qu’il n’y avait plus que le bois de l’huis
entre le roi et nous [52]
— C’est
M. de Brissac qui me l’a fait faire, dit-il en s’essuyant la bouche d’un revers
de sa grosse main. « Capitaine, me dit-il, ce matin vous me ferez
dégabionner la porte Saint-Denis sans tant languir. C’est là, ajouta-t-il, un
ordre qui ne souffre pas délai, la raison en étant que je veux faire terrasser
ladite porte pour plus de sûreté. » Oui-da, m’apensai-je, mais entre le
moment où l’on dégabionne et le moment où l’on terrasse avec pierres et
mortier, il s’écoule un temps où la porte se peut déclore, et se déclore pour
qui ? Là-dessus, je veux envisager mon Brissac œil à œil et ne le peux, vu
qu’il louche, tant est que je ne sais lequel des yeux regarder : le
ligueux ou le royaliste ? M’est avis, compère, que si Brissac s’amuse,
comme on dit, à prendre les mouches en séance du conseil, la plus grosse mouche
qu’il attrape, c’est Feria. D’autant que, dégabionnant la porte Saint-Denis,
j’apprends que mon compère Maurin dégabionne, sur l’ordre de Brissac, la porte
Neuve. Tiens donc, m’apensai-je, le poil dressé et la moustache en alerte, la
porte Neuve ! Ha Ha !
— Et
pourquoi cette alerte ? dis-je.
— Mon
ami, dit Tronson sur un ton immensément paonnant, votre vin n’est des pires,
mais on voit bien que vous n’avez pas vu le jour sur le pavé de Paris. La porte
Neuve, poursuivit-il, est celle qui est au bout du jardin des Tuileries. Adonc,
la plus proche du Louvre.
— Je sais
cela, dis-je, contrefeignant d’être piqué.
— Mais ce
que vous ne savez pas, poursuivit Tronson, c’est que lorsque notre attrapeur de
mouches dressa si dextrement les barricades en Paris pour le compte du défunt
duc de Guise, le défunt roi s’enfuit de Paris par la porte Neuve, celle-ci
étant, comme j’ai dit, la plus proche de son Louvre.
— Je sais
cela aussi, dis-je, et n’en ai pas pour autant le poil dressé.
— Alors,
compère, c’est que le vin dont, pourtant, vous ne buvez que peu, vous aura
dérangé les mérangeoises. Holà ! ce flacon, de grâce ! vous me faites
tant jaser que je sèche de la gargamel.
M. de La Surie
lui tendit alors le flacon et il but.
— Compère,
reprit-il, plus piaffant que jamais, ne serait-il pas piquant que la porte
Neuve étant dégabionnée, se pût déclore et qu’Henri Quatrième entrât nuitamment
en Paris par la même porte que prit Henri Troisième pour fuir hors de sa
capitale ?
— Et qui,
dis-je, entrerait par la porte Saint-Denis ? Puisque la voilà elle aussi
dégabionnée ?
— Je ne
sais, dit Tronson, un des vaillants du roi : M. de Vic, M. de Vitry, M. de
Biron, M. d’O…
— Et que
feriez-vous alors ?
— J’y ai
songé, dit Tronson d’un air grave. Mon père, poursuivit-il en s’essuyant la
bouche, disait : « Fils, ne mets pas un doigt dans un pot, si tu ne sais
quoi s’y mijote. »
— Conseil,
dis-je, que je vous ai jà ouï citer.
— Je le
cite, et le citerai encore, pour ce qu’il est sage. D’un autre côtel, le mijot
fini et le couvercle ôté, il faut bien se résoudre à y mettre le doigt,
vramy ?
— Vramy.
— Or, mon
père disait encore : « Fils, prends garde de ne pas ramer à
contre-courant : ta barque n’irait pas loin ! » Et ne serait-ce
pas pitié, Maître Coulondre, que moi, Français naturel, et de plus, Parisien de
Paris, je me fasse étriper pour le duc de Feria ?
— Il ne
faut pas confondre, dit M. de La Surie, les ceux qui font les cercueils et les
ceux qui se font occire.
— Miroul,
dit Tronson, tu parles d’or.
— Adonc,
dis-je, compère, si la porte Saint-Denis se déclôt cette nuit, vous ne prendrez
pas les armes !
— Je les
prendrai, dit Tronson, mais je prendrai aussi l’écharpe blanche. M’en
blâmez-vous ?
— Point
du tout.
— Si le
roi se convertit à ma religion, reprit Tronson avec un certain air de pompe, ne
peux-je, moi, de ligueux que j’étais, me convertir au roi ? De compère à
compère, qu’en êtes-vous apensé ?
— C’est
raison, dis-je, et quant à moi, poursuivis-je, je ferai tout comme mon
capitaine.
— Moi
aussi, dit M. de La Surie.
— Voilà
qui est chié chanté, dit Tronson. Compère, trinquons, puisque l’accord est fait.
Ce vineux
entretien se passait dans le petit châtelet d’entrée bâti au-dessus de la porte
Saint-Denis, lequel ouvre sur les douves par une
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