La Volte Des Vertugadins
Surie, vous verrez que, sur vos vieux jours, vous deviendrez un saint
homme. »
Comme Geneviève de Saint-Hubert savait un peu d’allemand, je
décidai, pour meubler mon interminable attente, de me dégrossir avec elle, ce
qu’elle accepta bien volontiers, sans aller au-delà de l’élémentaire.
— Peter, disait-elle de sa voix chantante, ich
bin Ihre Lehrerin.
Et je répondais :
— Ich bin Ihr Schüler.
Je ne savais pas encore à quel point son accent allemand
était anglais et je riais d’aise en prononçant avec elle ces quelques mots.
Notre unique étreinte n’était plus qu’un souvenir que nous avions de concert
enfoui dans la gibecière de nos mémoires, mais en même temps que de la
compassion, j’avais encore pour elle quelque douceur de cœur.
Le vingt-huit novembre – je l’ai marqué dans mes
tablettes –, un petit page vint me dire un peu avant dîner que le carrosse
de Monsieur de Bassompierre viendrait me prendre sur les trois heures de
l’après-midi. Je lui fis répéter deux fois son message pensant qu’il s’agissait
de mon père et non de moi. Mais, « indubitablement », comme il voulut
bien me le dire (cet adverbe faisait toujours rage chez nos poupelets), c’était
au Chevalier de Siorac et non point au Marquis qu’il s’adressait. Je croyais
aussi que le carrosse viendrait seul, le Comte n’allant pas se déplacer pour me
quérir. Mais à peine son cocher chamarré eut-il obtenu l’entrant dans notre
cour que Bassompierre passa sa tête par la portière et me dit de monter à ses
côtés avec ce célèbre sourire qui, à la cour, faisait battre tant de cœurs
féminins. Il parut content de me voir et aussi, en la circonstance, que j’eusse
fait quelques frais de vêture, le goût spartiate de ma famille n’étant guère à
son gré.
À la différence du nôtre, son carrosse, tiré par de fort
beaux chevaux, était tout velours cramoisi, broderies, dorures, glands,
passementeries et parfums, et lui-même resplendissait de tous les feux de la
dernière mode, sans compter les perles qui luisaient à profusion sur son
pourpoint de satin violet. Et comment ne pas mentionner aussi, brillant d’une
lueur étrange à son annulaire, la bague de la fée allemande que, de moment en
moment, il portait à ses lèvres, comme pour y puiser l’inspiration de
l’heure ?
Bien qu’Allemand, Bassompierre était plus Français qu’un
Français naturel, plus Parisien qu’un natif de Paris, et plus courtisan que
tous les courtisans du Louvre mis à tas. Après mon père, je n’admirais personne
plus que lui. Je lui enviais sa science, son esprit, sa grâce et les beautés
célèbres qui lui voulaient du bien. Tout ce qu’il faisait avait l’air cavalier.
J’aimais surtout que malgré mon âge, il ne mît aucune distance entre lui et moi
et me taquinât comme si j’avais été son frère ou son ami.
À peine assis dans son carrosse, sa splendide vêture me
donna furieusement dans la vue et je fus un moment à la détailler en silence.
Quand j’eus bien rassasié mes yeux de ce parangon de cour, ma curiosité reprit
le dessus et j’osai quérir de lui où il me menait.
— Mais cela va de soi, mon Pierre, dit-il du ton le
plus uni. Je vous conduis chez votre maître d’allemand.
À ouïr cette nouvelle, j’eusse pu sauter de joie sur les
coussins capitonnés de son carrosse, si je ne m’étais bridé. Mais je craignis
d’en dire trop. Je voyais bien la main du Roi dans cette intervention de
Bassompierre, mais ne savais pas jusqu’où Sa Majesté l’avait mis dans sa
confidence. Je pris donc le parti de faire un peu le difficile et je dis :
— Eh quoi ! Ce maître d’allemand est-il si haut
qu’il ne puisse venir chez moi ?
— Point du tout. Il est aussi humble que sa condition
le demande. Mais il se trouve être si vieil, goutteux et mal allant qu’il ne
saurait se déplacer sans ses béquilles. Toutefois, mon Pierre, cette mortelle
enveloppe, aussi peu ragoûtante que celle de Socrate, enferme, comme elle, des
trésors. C’est du miel que sa parole. Vous en serez ravi !
Là-dessus, il porta la bague de la fée à ses lèvres et se
tut avec tant de réserve que je n’osai le questionner plus avant. Cependant, il
souriait doucement, non à moi, mais à lui-même, songeant sans doute à ses
félicités passées et plus délicieuses encore, à celles que la protection de la
fée tenait en réserve pour lui.
Comme Bassompierre ne pipait pas
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