La Volte Des Vertugadins
chambre pour aller me poster près d’une fenêtre où j’avais des vues
sur le nouveau venu, devant qui, sans le voir encore, Mariette multipliait les
révérences. Le doute cependant subsista dans mon esprit jusqu’à ce que, la
porte étant ouverte par un valet, et le marchepied déplié, je vis se poser
dessus une mule de satin bleu ornée de perles.
Cela me suffit. Je me retirai vivement de l’embrasure et, me
peignant les cheveux de mes doigts, et boutonnant mon pourpoint, je descendis
le viret pour aller à la rencontre de la Duchesse, le cœur me battant comme si
c’était moi qui lui avais manqué.
Je me ressouviens qu’en descendant les marches pour l’aller
accueillir (mon père ne se trouvant pas au logis), j’éprouvais des sentiments
fort mêlés. J’avais scrupule et mésaise à ce que tout un chacun, en ce logis,
se liguât pour tromper ma bonne marraine, mais, en même temps, je n’eusse pas
voulu qu’elle apprît ce qu’il en était, tant j’en redoutais les conséquences
pour mon père, et pourquoi ne pas le dire aussi, pour Margot, non que je fusse
amoureux d’elle, mais de sa seule beauté, et fort content que j’étais de la voir
rayonner en silence de la nouvelle joie qu’elle prenait à vivre, elle qui, sans
cette chanlatte, cette canne à pèche et cette bûche, serait morte de faim et de
froid en son misérable logis, à côté du corps de sa mère.
Le gel reprit quelque peu en février, mais moins âpre, et
pour peu de temps, et à la fin du mois, mon père m’apprit la mort du Duc de
Montpensier qui survint six mois à peine après le bal de la Duchesse de Guise
où je l’avais vu étique et fort atténué, souffrant depuis quatorze ans de cette
terrible blessure à la mâchoire qu’il avait reçue à la bataille de Dreux et qui
le réduisait à se nourrir de lait de femme.
À l’occasion du service funèbre du Duc de Montpensier, mon
père eut l’occasion de voir le Roi et comme si sa vue eût réveillé chez Sa
Majesté un projet, il le fit appeler après la cérémonie, lui parla au bec à bec
et lui dit qu’il n’oubliait pas le Chevalier de Siorac, qu’il songeait à lui
donner un emploi, où son savoir et son talent trouveraient à s’employer. Je
sautai de joie quand mon père me rapporta ce propos, mais il me fallut attendre
de longs mois avant qu’Henri donnât corps et vie à son dessein et moi, de tout
ce temps, je n’osai quitter Paris, ni me rendre dans le Périgord où mon
grand-père qui touchait maintenant aux bords de l’extrême vieillesse, m’aurait
voulu auprès de lui pendant les mois d’été. L’été, toutefois, se passa sans que
Sa Majesté se ressouvînt du Chevalier de Siorac encore qu’il vît assez souvent
mon père pour ses missions secrètes.
Ce n’est que le treize novembre que le Roi me tira de cette
rongeante impatience. Il nous manda au Louvre mon père et moi « après
dîner ». Mais en raison des heures irrégulières de Sa Majesté, lesquelles
contraignaient ses cuisiniers à préparer toujours deux ou trois repas de suite,
afin qu’il ne mangeât pas froid, nous étions résignés à une longue attente, et
moi-même bouillant d’impatience et de curiosité car c’était la première fois,
depuis qu’il m’avait nommé chevalier, que le Roi me convoquait au Louvre en
même temps que mon père.
Nous eûmes toutefois le nez fin d’arriver à l’heure précise,
car à peine avions-nous pris langue avec Monsieur de Praslin au guichet du
Louvre qu’un petit page survint, s’enquit de nous et nous mena au jardin où le
Roi venait de terminer son Conseil des ministres, lequel il avait tenu en se
promenant dans les allées, profitant de ce clair soleil du début novembre.
Dès qu’il nous vit, à peine eûmes-nous le temps de lui
baiser la main que déjà il nous prenait chacun par le bras et, le visage
souriant, nous entraînait à l’écart.
— Mon petit cousin, me dit-il, penchant vers moi sa
tête faunesque et malicieuse, tiendrais-tu au-dessous de ta dignité d’être mon
truchement [33] ?
— Sire, dis-je, il n’est petit service que je ne tiendrais
à très grand honneur de rendre à Votre Majesté.
— Mais, ce ne sera point un petit service. Bien loin de
là. Quelles langues entends-tu ?
— Pour commencer, le latin.
— Je n’écris guère au Pape.
— L’italien.
— Je n’écris pas beaucoup plus au Grand-Duc de Toscane.
— L’espagnol.
— Je n’écris point du
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