La Volte Des Vertugadins
tout à Philippe III
d’Espagne. C’est, je crois, Villeroi, qui s’en charge. À moins que ce ne soit
Don Pedro.
Ici, je me permis de sourire, car Henri feignait de confondre
son propre ministre avec l’ambassadeur d’Espagne. Henri sourit à son tour et
dit, en se tournant vers mon père :
— Marquis, ce béjaune est fin.
— Avec un tel nez, comment s’en étonner ? dit mon
père en renvoyant le compliment.
— Mais bon chien ne chasse pas toujours de race !
dit Henri avec un soupir. Voyez Condé ! Tout Bourbon qu’il soit, il n’a
même pas assez de nez pour suivre une chienne et la couvrir.
— Sire, qu’importe le Prince de Condé ! dit mon
père. Grâce à Dieu, vous avez le Dauphin, et c’est un bel enfant.
— Que le ciel me le garde ! dit Henri, son visage
ridé s’éclairant d’une lueur joyeuse. Il n’empêche, poursuivit-il en reprenant
son ton enjoué, que le chiot que voilà vaut à lui seul tous ceux que ma bonne
cousine de Guise a eus du Magnifique… Je suis prêt à gager cent écus qu’il
saurait mieux qu’aucun d’eux démêler les bois d’un cerf [34] ! Quelles langues sais-tu
encore, Chevalier ?
— L’anglais.
— Ha ! voilà qui va bien ! J’écris souvent à
Jacques d’Angleterre et à Maurice de Hollande, lequel entend lui aussi
l’anglais. Que deviendraient-ils si je ne les mettais en garde contre les
faux-fuyants de l’encorné Espagnol et de son rare talent pour donner le change.
Et l’allemand ? Sais-tu l’allemand ?
— Non, Sire.
— Ventre Saint-Gris, Chevalier ! Il faut apprendre
l’allemand ! Les princes luthériens d’Allemagne sont les plus forts de ma
meute ! Inébranlables dans la créance et grands hurleurs ! Combien de
temps te faut-il pour apprendre l’allemand ?
— Quelques mois, Sire, si j’ai un maître suffisant.
— Suffisant ? dit Henri avec un petit sourire de
l’œil qui étoila sa patte-d’oie. Il sera bien plus que suffisant ! J’en
prends la gageure. Tu seras suspendu à ses lèvres et il te donnera plus de bon
lait que la plus grasse nourrice à son nourrisson. Or sus !
Chevalier ! L’affaire est résolue ! Dans trois mois, tu sauras
l’allemand et tu devras aussi chiffrer les lettres que tu écriras pour moi.
— Mais, Sire, je ne sais pas chiffrer.
— C’est bien pourquoi il te faudra l’apprendre.
Marquis, un mot !
Et entraînant mon père à deux pas de moi, il lui glissa
quelques mots à l’oreille. Après quoi, il nous fit à tous deux un petit geste
de la main, me tourna le dos et à grands pas s’en alla.
J’attendis d’être rentré en notre logis du Champ Fleuri et
assis au bec à bec avec mon père dans la grand’salle pour lui poser toutes les
questions qui me pesaient sur la langue.
— Monsieur mon père, pourquoi eût-il été en dessous de
ma dignité d’être le truchement du Roi ?
— Vous n’ignorez pas les absurdes préjugés des nobles
catholiques pour qui le seul service honorable est l’épée. C’est à peine s’ils
respectent Sully, pour ce qu’il sert le Roi par la plume et l’arithmétique. Et
tout bon poète qu’il soit, Malherbe lui-même ne serait pas reçu, s’il n’était
pas gentilhomme.
— J’entends bien, mais j’imagine que le Roi a tous les
truchements qu’il lui faut.
— Assurément. Mais ses truchements sont à ses ministres
et à ses secrétaires d’État et il a peu fiance en eux. Le Roi veut trouver en
vous, comme il a dit, un truchement « inébranlable en sa créance ».
— Et que veut dire ceci ?
— C’est langue de vénerie. Cela se dit d’un faucon qui,
après avoir pris son vol, revient fidèlement sur le poing de son maître. Par extension,
cela se dit aussi d’un chien.
— S’il faut choisir entre les deux, je serai donc
faucon.
— Mission périlleuse, mon fils, dit mon père avec
gravité.
— Pour ce qu’on me pourra transpercer en plein vol pour
surprendre mon message ?
— Vous ne volerez pas. Le Roi a ses courriers secrets.
Mais c’est déjà un grand danger que d’écrire et chiffrer une lettre que Don
Pedro donnerait une fortune pour connaître. La pécune, comme on sait, est
souvent la sœur de la dague.
— Étant Siorac par mon père et Bourbon par ma mère, je
ne saurais qu’être vaillant.
— Monsieur, vous parlez à la volée ! dit mon père
froidement. Vos ancêtres ne sont pas garants de vos qualités. Ils ne répondent
pas non plus des
Weitere Kostenlose Bücher