La Volte Des Vertugadins
main sur sa petite sœur et Héroard, aussitôt s’interposant, lui
dit :
— Monsieur, pourquoi avez-vous voulu frapper
Madame ?
— Pour ce qu’elle a voulu manger ma poire.
— Monsieur, cela n’est pas. Pourquoi l’avez-vous voulu
frapper ?
— Parce que j’ai peur d’elle.
— Monsieur, pourquoi ?
— Parce que c’est une fille.
Le lecteur sera tenté de hausser les épaules à cet enfantin
propos. Pourtant, cette peur des filles n’était que trop réelle en lui et
n’explique que trop bien la faillite, quelques années plus tard, de son
mariage. Le philosophe observera ici que deux causes différentes peuvent
produire le même effet. Le ménage de son père fut mauvais, parce qu’il aimait
trop les femmes et le sien fut malheureux, parce qu’il ne les aimait pas assez.
Quand, au début de notre séjour à Saint-Germain, Henri
m’emmena dans sa chambre, il me présenta à lui à la façon concise et cordiale
qui était la sienne.
— Mon fils, voici le Chevalier de Siorac. Son père m’a
bien servi et, le moment venu, vous ne saurez avoir meilleur serviteur que lui.
— Oh ! Sio ac ! s’exclama Louis.
Oh ! Je me e ssouviens bien de lui !
Et me prenant tout de gob par la main, il me mena à un petit
coffre dont il tira la petite arbalète que je lui avais donnée à notre première
rencontre. Et tant cette gratitude me toucha, surtout quand on pense à la
quantité et la beauté des cadeaux qu’il recevait de toutes parts – et en
particulier de la reine Margot – que j’en eus les larmes aux yeux. Louis
ne faillit pas à déceler cette émotion, car si son esprit possédait moins de
force que celui de son père, il montrait, en revanche, la même rapide
perspicacité dans les rapports humains. Et se tournant vers Henri, il lui
demanda tout de gob de me donner à lui.
— Nenni, mon fils, dit le Roi, pour l’instant, le
Chevalier me sert. Mais après moi, il sera à vous.
Cet « après moi » fit pâlir le Dauphin et, se détournant
pour me dérober son visage, il fit mine de fouiller dans son coffre. C’était
bien plus que de l’amour, et à peine moins que de l’adoration qu’il ressentait
pour son père et, sachant les maux dont le Roi souffrait, et les dangers qu’il
encourait, il tremblait de le perdre.
Je tiens d’Héroard qu’un mois plus tard, en janvier, il
trahit cette appréhension par ce qui pouvait passer, à première vue, pour un
caprice puéril. Comme on parlait devant lui de tirer les rois, il dit tout
soudain :
— Je veux pas ête roi.
— Pourquoi ? demanda Doundoun.
Comment eût-il pu expliquer que, dans sa logique enfantine,
il ne pouvait être roi sans que son père mourût. Il se borna à répéter :
— Je veux pas l’ ête .
C’était là le genre de réponse qui faisait croire qu’il était
buté, alors qu’il n’était que pudique. Ce qui me confirma qu’il prenait la
chose très à cœur, c’est qu’appelant Monsieur de Ventelet, il lui dit à
l’oreille, sur le ton le plus pressant :
— N’y faites pas met te de fève, afin qu’il n’y
ait pas de roi…
Les fenêtres de la chambre, que j’occupais au château et qui
était celle de Monsieur le Connétable, donnaient sur le jardin. Ce qui
présentait à la fois un avantage et une incommodité. Car si, même en décembre,
les parterres, les bosquets et les fontaines ne laissaient pas de flatter
l’œil, en revanche les maçons et les charpentiers, qui travaillaient de ce côté
à construire le château neuf, faisaient, le jour, la plus infernale noise que
vous puissiez rêver. Il est vrai que j’étais assez peu dans ma chambre, étant
appelé, soit par le Roi, soit le plus souvent par le Dauphin qui, ayant appris
de la bouche de son père que j’étais « fort savant », me consultait
sur tout, y compris sur des sujets où j’étais fort conscient de mon
insuffisance.
Je pris le parti de lui avouer qu’en ce qui concernait par
exemple l’oisellerie, ou la vénerie, j’en savais moins que lui et que j’eusse
été incapable, comme lui, de remplacer un carreau de terre cuite sur le sol
d’une chambre. Cette franchise, au moins autant que l’éloge implicite de ses
talents manuels – qui étaient nombreux et fort étonnants pour son
âge –, lui plut, et entendant, à la parfin, que j’avais été nourri aux
Lettres, il ne me posa plus de question qui sortît de ma compétence. Toutefois,
sur le chapitre de la fortification et
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