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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de lui qu’aux fâcheux qui les oublient. Il n’a
que faire de la morgue. Et c’est la parfaite simplicité de son attitude qui
donne, à qui l’approche, le sentiment de sa grandeur.
    — Pierre-Emmanuel, dit La Surie, si vous me le
permettez, j’aimerais jeter un œil sur ce billet.
    — Bien volontiers.
    Il le lut à son tour et dit :
    — Il me semble que Madame de Lichtenberg vous aime
bien.
    — À quoi voyez-vous cela ? dis-je en me sentant
rougir derechef.
    — Par ce passage : « Je suis, au demeurant,
fort touchée de la merveilleuse impatience où je vous vois d’apprendre la
langue qui est la mienne. »
    — Eh bien ?
    — Il y a l’amorce d’une petite taquinerie dans la
« merveilleuse impatience » et l’ombre d’une petite coquetterie dans
« la langue qui est la mienne ».
    — Coquette ? dis-je, tenant haut les couleurs de
ma dame comme si j’allais entrer en lice pour elle. Fi donc ! C’est ce
qu’elle n’est pas ! Elle est fort sérieuse. Je dirais même qu’il y a
quelque gravité dans ses manières.
    À cela. La Surie regarda mon père, sourit et ne répondit
pas. Cet entretien eut lieu le dimanche soir après souper et, à dire le vrai,
je me sentais fort las, et de mon long et cahotant voyage, et de mes récits, et
des infinies questions qu’ils avaient provoquées.
    — Vos yeux se ferment, Monsieur mon fils, dit mon père.
Il est temps, comme dit Henri, que votre sommeil vous dorme.
    Le lendemain, après une matinée plus distraite que
studieuse, j’écourtai ma sieste de moitié pour prier Toinon de me boucler le
cheveu. Elle prit cette demande très au rebours du poil.
    — À s’teure, dit-elle, en se levant de ma couche avec
un visage qui n’annonçait rien de bon, me voilà plus encline aux enchériments
qu’à manier le fer à friser. Et croyez-vous, Monsieur, que ce soit bien honnête
de prendre ainsi sur l’aise et le plaisir des gens pour vous embellifier ?
Et pourquoi donc vous mettez-vous en des frais que vous ne fîtes pas pour le
Roi en Saint-Germain-en-Laye ?
    — C’est mon affaire.
    — Votre affaire, c’est quelque garcelette de cour qui
vous aura tourné la tête avec quelques grimaces. Et que croyez-vous que vous
allez gagner à faire devant elle le galant ? Ces façonnières ne donnent
rien pour rien. Tout ce que la mijaurée vous baillera d’elle, hors mariage, ce
sera le bout de ses doigts à lécher ! Le beau barguin que voilà !
    — Tu n’y es point du tout, Toinon. Il ne s’agit pas
d’une pécore, mais d’une dame, et qui me donne des leçons d’allemand.
    — Alors, que ne vient-elle vous les bailler céans,
qu’on voie un peu son museau !
    — Cela ne se peut. C’est une haute dame.
    — Babillebabou ! Une haute dame, maîtresse
d’école ! Vous m’en donnez à garder !
    — C’est la pure vérité ! Et trêve de tes
questions, s’il te plaît, Toinon. Contente-toi de me boucler sans me brûler et
mets un bœuf sur ta langue !
    — Et vous-même, dit-elle entre ses dents, bas assez
pour feindre de se parler à soi, mais assez haut pour que je l’ouïsse,
mettez-donc deux onces de raison dans votre cervelle !
    — Or çà, Toinon ! dis-je avec les grosses dents,
veux-tu quelques bonnes buffes et soufflets pour t’apprendre le respect ?
    — Et moi, dit-elle, la crête nullement rabattue, qui me
respectera ? Moi qu’on jette impiteusement au bas d’une couche pour friser
un ingrat qui s’en va parfaire avec une autre la seconde moitié de sa
sieste !
    — Que me chantes-tu là ? Il s’agit de leçons et la
dame est une veuve.
    — Une veuve ! Pardienne ! On sait ce qu’en
vaut l’aune !
    — Une veuve réputée pour ses vertus.
    — Bagatelle !
    — Et qui a de grands enfants.
    — Fi donc, Monsieur, une vieille ! Et c’est pour une
ménine que vous écourtez notre sieste ! C’est le monde à l’envers !
Ma jeune peau ne vous ragoûte plus !
    À ces mots de « vieille » et de
« ménine », je fus à deux doigts de la battre. Mais en réfléchissant
que si je me laissais aller, elle planterait là son fer à friser, me laissant
la moitié du cheveu ondulé et l’autre moitié raide, s’en irait ensuite
clabaudant du haut en bas du logis et me bouderait pendant deux jours, je
décidai de me brider, admirant à part moi qu’elle eût réussi, en quelques minutes,
à me tirer les vers du nez et à m’exaspérer. Vramy ! me pensai-je, si

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