La Volte Des Vertugadins
arrivé à tenir un discours aussi désolant ?
— Le grand politique, Madame, si habile et si
clairvoyant, vous cache l’homme qu’il fut : ému, passionné, amoureux
souvent, et, comme on disait alors, « romanzesco ». Il aimait
jusqu’à la folie, jusqu’à l’enfantillage et, se trouvant fait d’une étoffe
tendre, il voulait aussi être aimé.
— C’est là, j’imagine, où le bât le blessait.
— Oui, Madame, à l’écorcher. Ni ses deux épouses, ni ses
maîtresses n’eurent la moindre affection pour lui. Et quand il rompit enfin
avec la Verneuil – la pire de toutes, Madame, un vrai succube –,
va-t-il, à votre avis, lui reprocher d’avoir comploté sa mort ? Pas du
tout. Voici ce qu’il lui dit : « Cinq années m’ont, comme par force,
imprimé la créance que vous ne m’aimez pas. Votre ingratitude a accablé ma
passion. »
— Fallait-il qu’il soit naïf pour ne pas s’en être
avisé plus tôt !
— En effet. Mais comment aimer sans confiance ?
*
* *
Que j’ai regret pendant ces quatre jours que j’ai passés à
Saint-Germain de n’avoir pas pris de notes, comme fit chaque jour pendant tant
d’années le docteur Héroard et, quant à la ville et à la cour, Pierre de
l’Estoile. Vingt ans se sont écoulés depuis mon séjour au château et si bien
que je me ressouvienne de ce que j’ai vu et ouï moi-même, j’ai parfois peine à
démêler ce que j’ai appris sur place de ce que j’ai glané par la suite au cours
de mes rencontres ultérieures avec le docteur Héroard, grand ami de mon père et
qui devint aussi le mien, en dépit de mon âge et du sien.
Il me semble ce jour d’hui que la date de cette visite fut
fort heureuse, car le dauphin Louis, qui avait franchi le seuil des sept ans le
vingt et un septembre, entrait dans sa huitième année et il était prévu que
dans le cours du mois de janvier 1609, il quitterait pour toujours
Saint-Germain-en-Laye pour le Louvre et passerait alors, pour son éducation,
des mains des femmes aux mains des hommes. Les mots eux-mêmes dont il se
servait allaient illustrer ce passage de la puérilité à l’âge de raison.
Désormais, il aurait à dire – ce qui ne lui serrerait pas le cœur –
« Madame ma mère » et non « Maman » ; et ce qui lui
serait, à coup sûr, beaucoup plus à peine : « Monsieur mon
père » et non « Papa ».
Louis vivait donc, quand à cette occasion je le revis, ses
dernières semaines à Saint-Germain-en-Laye, et encore qu’il aimât le château et
surtout les bosquets, les grottes et les fontaines de son merveilleux jardin,
il le quitta, à ce qu’on me dit, l’œil sec. L’important, pour lui, c’était que
le docteur Héroard l’allât suivre au Louvre et surtout qu’il y pût voir Henri,
son idole et son modèle, tous les jours que Dieu faisait.
L’absence et l’insensibilité de sa mère l’avaient pourtant
beaucoup attaché à Doundoun, sa nourrice, à qui il disait, à cinq ans :
« Je vous aime bien, ma folle Doundoun. Je t’aime tant, ma folle Doundoun,
qu’il faut que je te tue ! »
Mais c’était une femme fruste qui se parfumait au safran et
quand Louis recherchait la chaleur du baiser, cette odeur le faisait fuir du
lit de sa nourrice à celui de Madame de Montglat pour qui pourtant ses
sentiments étaient beaucoup plus mêlés.
Certes, il l’affectionnait pour ce qu’il sentait bien
qu’elle s’occupait de lui avec dévouement, mais il la redoutait aussi, parce
qu’elle avait « la puissance du fouet » – la seule chose dont
elle n’usait pas avec chicheté : tant est qu’il ne se passait pas de
semaine sans qu’elle lui dît, les deux mains armées de verges : « Or
çà, Monsieur ! Troussons ce cul ! »
Même en son domestique, avec le Baron de Montglat, la dame
portait le haut-de-chausses. Là où le docteur Héroard circonvenait les
résistances de Louis par la douceur, elle les heurtait de front, cornes contre
cornes, étant aussi opiniâtre dans ses corrections qu’il l’était dans ses
refus. Il en résultait, chez son pupille, des colères trépignantes, des
hurlades, des grincements de dents, des grafignements, des injures, des menaces
de mort (mais celles-ci point dictées par l’amour) et après le châtiment, des
pleurs, non point de repentir, mais de rage.
Le sept décembre, le Roi l’ayant quitté pour retourner au
Louvre, scène que je conterai plus loin, Louis se prend de
Weitere Kostenlose Bücher