La Volte Des Vertugadins
eût alors représenté pour lui un grand danger.
Je me ressouvins alors avoir ouï mon père donner à La Surie
cette même raison pour la condamnation de Biron. Mais ce n’était alors qu’une
hypothèse, que je voyais à ce jour confirmée par celui-là même qui avait
ordonné l’exécution.
Ayant dit, le Roi commença à me dicter sa lettre et, la
dictée finie, me fit les recommandations que l’on connaît déjà. Je me sentais
excessivement fier qu’il me donnât, aussi jeune, une tâche si importante, mais
en même temps, il ne m’échappait pas qu’il m’attachait à lui et à son fils, par
la confiance même qu’il me témoignait. J’entendais bien la raison de cette
faveur. J’étais de son sang, certes, mais l’étant par une femme qui, parce
qu’elle était femme, ne pourrait jamais me reconnaître, je n’avais ni le rang
ni les privilèges reconnus à un bâtard royal et n’aurais donc jamais la
puissance de lui nuire, non plus qu’à Louis, à supposer que j’en eusse le
désir. Je n’avais qu’un choix : le servir. Et à ce choix m’inclinaient non
seulement mon humeur, mais encore la loyauté proverbiale de mes ascendants
paternels.
La lettre que j’avais écrite sous la dictée du Roi, serrée à
peine sèche contre ma peau (en fait, comme j’ai dit déjà, dans une poche de ma
chemise), le Roi retourna avec moi dans la salle de jeux du Dauphin où on
trouva Louis en train de tirer des armes avec son maître attitré, Monsieur de
Gourville, gentilhomme normand si grand et si massif qu’il avait l’air d’un
Goliath qu’aucune fronde n’aurait pu abattre et moins encore une petite épée
tenue par un enfant de huit ans. Mais ce géant était patient et bénin et
parlait à son élève d’une voix aussi douce que celle d’une femme. Pour
l’instant, il y avait peu de battements ou de froissements de fer, Monsieur de
Gourville montrant à Louis les pas en avant et en arrière.
— Monsieur, dit-il de sa voix suave, il faut apprendre
à tirer en avant et à reculons.
— Meuchieu de Gou ville, dit fièrement
Louis, je veux tirer en avant et non pas à e culons !
À cela, le Roi eut l’air content et se mit à rire mais
reprenant aussitôt son sérieux, il dit :
— Monsieur mon fils, il en est de l’épée comme de la
guerre : on ne peut pas toujours avancer. Il faut savoir rompre, non point
pour fuir, mais pour préparer sa riposte.
— Meuchieu mon père, ainsi ferai-je, dit Louis
gravement.
Et il tourna toute son attention à sa leçon et suait à
grosses gouttes, tant du mouvement qu’il se donnait que parce qu’il désirait se
surpasser devant son père. Outre son gouverneur Monsieur de Souvré, il y avait
là Monsieur le Grand, Monsieur de Montespan, capitaine des gardes, le docteur
Héroard et moi-même. Et pas le moindre petit cotillon. Le petit dauphin, en
venant loger au Louvre, était bien passé, comme avait dit le Roi, « des
mains des femmes aux mains des hommes ».
La leçon finie, Louis, tout suant et appuyant son épée
contre le sol avec un maintien de maître d’armes, dit :
— Meuchieu mon père, ai-je bien tiré ?
— Passablement bien, dit Henri.
— Meuchieu le Gand, ti ez -vous ?
— Assez bien. Monsieur, dit Bellegarde, mais Monsieur
de Montespan tire mieux que moi. Et le père du Chevalier de Siorac mieux que
Montespan.
— Meuchieu, pou quoi cela ?
— Il est le seul en ce royaume à connaître la botte de
Jarnac.
— Je veux qu’il me l’ apenne ! dit Louis
avec feu.
— Monsieur, pourquoi ? dit Héroard.
— Pou tuer les ennemis de Pa…
Il allait dire « Papa », mais se retint juste à
temps.
— Du Roi mon père, acheva-t-il en rougissant.
— Je vous remercie, Monsieur mon fils, dit le Roi.
Là-dessus, un valet vint, portant une serviette et une
chemise propre, car Louis était fort suant.
— Monsieur, dit Monsieur de Souvré, tandis que le valet
dénudait et bouchonnait le Dauphin, vous devez dire qui vous doit donner la
chemise.
Louis me regarda comme s’il allait me faire cet honneur,
mais se souvint des préséances et dit au Duc de Bellegarde avec un certain air
de pompe et tout en regardant son père du coin de l’œil :
— Meuchieu le Gand, voulez-vous me donner
ma chemise ?
Quand Louis eut fini de se vêtir, Héroard s’aperçut qu’il
avait un bouton au coin de la lèvre et entreprit d’y placer un emplâtre.
— Pou quoi cela ? dit le
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