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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Éden
par une épée de feu, je me fis un souci à mes ongles ronger tout le temps que
je demeurai au Louvre – maudissant la chaîne dorée qui me liait au
trône – à telle enseigne que, sur le moment, je n’attachai pas l’intérêt
que j’aurais dû aux événements très étonnants et de grande conséquence dont je fus
le témoin.
    Je trouvai le Louvre dans la plus grande agitation, le Roi
ayant dû se mettre au lit, étant travaillé d’une grave attaque de goutte qui
l’avait saisi au gros orteil du pied droit sur les deux heures du matin, et le
faisait cruellement souffrir.
    — Ah ! Mon petit cousin ! dit-il, comme je
m’agenouillais au chevet de son lit pour lui baiser la main, je suis bien aise
de vous voir ! Accommodez-vous sur le tabouret, là, sur ma droite. Je
souffre mal de mort ! Si c’est là le châtiment de mes péchés dans ce monde-ci,
que sera-ce dans l’autre ? On dirait qu’un démon tantôt me broie le gros
orteil de sa main de fer et tantôt l’arrose d’huile bouillante. Je ne supporte
même pas le drap tant il me pèse sur le pied ! C’est à peine si j’ai pu
dormir cette nuit et je redoute la nuit qui vient. Ventre Saint-Gris, mon petit
cousin, tâchez de ne jamais vieillir ! Vous voyez où j’en suis ! Je
pâtis si fort que j’en suis dérangé dans mes mérangeoises, et si je poursuis
dans cette voie, je ne serai bientôt plus qu’un vieillard podagre dont les
femmes ne voudront plus.
    — Bien le rebours, Sire ! dis-je vivement. La
goutte est tenue depuis la haute Antiquité pour un signe indubitable de
virilité. À preuve, l’aphorisme célèbre : « L’enfant n’a pas la
goutte avant l’âge du coït, et les eunuques ne l’ont jamais. »
    — Et qui a dit cela ?
    — Hippocrate, Sire.
    — Hippocrate ! dit-il sur le ton du plus grand
respect en se haussant sur ses oreillers et un sourire ragaillardi détendant
quelque peu son visage contracté. En es-tu sûr ?
    — Certain, Sire. C’est un aphorisme que mon père
rappelait souvent à mon grand-père, quand il souffrait de sa goutte. Et Dieu
sait si le Baron de Mespech en illustrait la vérité, car il n’est garcelette en
sa châtellenie du Périgord à laquelle il ne pourrait encore rendre hommage
malgré ses ans.
    — Une châtellenie en Périgord ! Ou mieux encore,
en mon Béarn ! Ah ! voici tout justement la vie dont je rêvais
toujours ! dit Henri, retombant dans cette nostalgie des champs, dont il
nous avait entretenu dans son carrosse après le passage du bac à
Saint-Germain-en-Laye : un beau domaine traversé par une petite rivière et
assez bien pourvu en terres et en bois pour me permettre de chasser et de vivre
à l’aise. Non point un château mais un simple manoir, comme celui de Plessis-lès-Tours,
où je fis ma paix avec Henri III, quelques bons compagnons pour la chasse
et les franches repues, mais par-dessus tout, le calme, la solitude et, se peut
aussi, la paix du cœur dans l’amour naïf d’une petite bergère encontrée au
détour d’un chemin… Allons ! reprit-il avec un soupir, tout ceci n’est que
chansons et songes creux : il n’y faut point penser !
    Le calme, assurément, il ne pouvait guère l’avoir, même
malade, avec le monde qui encombrait sa chambre, sortait et entrait
continuellement, tous et toutes parlant à mi-voix par déférence, mais la somme
de ces murmures faisant en fin de compte une assez grande noise. Je me
demandais comment Sa Majesté allait s’y prendre pour me dicter une lettre
archisecrète au beau milieu de tous ces gens. Mais je ne tardai pas à entendre
qu’il ne s’agissait pas de cela : appelant auprès de lui le Comte de
Gramont, Bellegarde, Bassompierre et moi-même, le Roi nous dit qu’il nous
voulait tous quatre auprès de lui pour lui lire tour à tour L’Astrée, espérant
que par ces relais, nous ne serions point trop lassés, car il désirait que nous
restions la nuit aussi auprès de lui pour poursuivre la lecture de ce roman et
le distraire de ses insomnies.
    Il va sans dire que nous acquiesçâmes avec chaleur à son
commandement et moi, le moins sincèrement des trois, étant, malgré ma grande
amour pour Henri, moins sensible à l’honneur qu’il me faisait qu’à la rongeante
perte de mes douces heures auprès de la Gräfin.
    Bassompierre demanda la faveur de commencer la lecture de L’Astrée, devant s’absenter du Louvre dans l’après-midi, mais promettant d’y revenir
dès que

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