La Volte Des Vertugadins
d’Éden.
Les violons, après un temps de silence, pincèrent leurs
cordes toutes ensemble. Les nymphes frappèrent droit devant elles, mais
Charlotte, déviant son javelot sans s’en dessaisir, fit le simulacre de frapper
le Roi au cœur. La pointe de l’arme, qui était de carton afin que les nymphes
ne se blessassent pas entre elles, effleura à peine le pourpoint de Sa Majesté,
le coup n’ayant pas été plutôt donné que retenu, avec une grâce mutine et des
yeux scintillants où de petits diables dansaient. Un nouveau pincement des
violons retentit et la chasseresse nous tourna le dos et s’éloigna en dansant
de la proie qu’elle venait d’abattre.
À ma grande stupeur, le Roi chancela, comme s’il allait pâmer.
Bellegarde lui prit le bras et me portant sur sa gauche, je le soutins de ce
côté, fort effrayé de voir son visage perdre ses couleurs et devenir
véritablement blême. « Sire ! Sire ! » dit Bellegarde.
« Ce n’est rien » , dit le Roi d’une voix sans timbre.
Montespan qui nous avait devancés dut sentir qu’il se
passait quelque chose d’insolite, car il se retourna et nous voyant immobiles,
et le Roi d’une pâleur mortelle, nous jeta un regard inquiet. Ce regard
réveilla Henri de sa transe et faisant signe à Montespan d’avancer derechef, il
se remit lui-même en marche, mais difficilement et s’appuyant sur les bras de
Bellegarde et de moi, comme si ses jambes ne le portaient plus.
CHAPITRE IX
— Je n’aime pas cette pécore, dit mon père quand je lui
eus fait mes contes. Sa beauté la grise. Elle se veut toute-puissante et jette
ses hameçons partout. Elle mène le Connétable par le bout du nez. Elle fait ce
qu’elle veut de la Duchesse d’Angoulême et, à peine a-t-elle pris Bassompierre
dans ses filets, que déjà elle vise plus haut.
— Que lui est la Duchesse d’Angoulême ? dit La
Surie qui, n’étant pas né noble, n’avait pas eu son enfance bercée par les
généalogies compliquées des Grands.
— Sa tante par alliance. Elle est la veuve du Duc de
Montmorency, frère aîné du Connétable. Charlotte ayant perdu sa mère, sa tante
la chaperonne.
— Et quel genre de femme est la Duchesse ?
— On lui a appris les bonnes manières, mais cela s’est
arrêté là. Pour tout le reste, elle en sait autant que le Connétable, qui ne
sait rien. Et, comme le Connétable, elle adore le Roi à deux genoux et ne fera
rien pour le contrarier.
— Mais ce n’est peut-être là qu’une amourette, dit La
Surie, et qui passera comme tant d’autres.
— Je crains que non, dit mon père avec un soupir.
Et après un moment, faisant, à ce qu’il me sembla, un retour
sur lui-même et sur son attachement grandissant pour Margot, il reprit :
— Tu oublies, Miroul, l’âge de la garcelette et celui
du Roi. Si près de la vieillesse et si proche, comme il le croit, de la mort,
il jette ses derniers feux. C’est là l’étoupe et le silex d’une amour forcenée.
Et quand ce genre de passion trouve, pour l’aider, une grande fureur de volonté
et la toute-puissance royale, on peut craindre mille folies…
Le lendemain, qui était un dix-sept janvier, un page vint
tôt dans la matinée, me porter un mot de Sa Majesté qui me surprit autant qu’il
me désespéra, car Elle me mandait au Louvre (alors qu’Elle m’avait vu la
veille) et me faisait manquer ma leçon d’allemand du mercredi. Avant même de
m’habiller, je m’assis à mon écritoire et, à la volée, écrivis à Madame de
Lichtenberg un billet dont je ne me rappelle pas les termes, mais qui était si
plein d’amour et de désolation qu’à peine l’eussé-je fait porter par un petit
vas-y-dire je fus pris de terreur à la pensée que la Gräfin allait
peut-être me fermer à jamais sa porte pour me punir de mon impertinence.
Il fallait que je fusse bien jeune pour imaginer qu’une
femme se pût offenser d’une telle adoration ! Mais incapable de m’imaginer
à quel degré je m’étais déjà haussé dans ses affections, je tremblais de perdre
mon délicieux commerce avec elle par mon audace, alors même qu’elle
l’encourageait, comme je m’en aperçus dans la suite, par les mille petits
procédés auxquels ont recours les femmes pour vous inciter à prendre les
initiatives que les mœurs leur interdisent.
Mais j’avais trop peu d’expérience et je l’aimais trop pour
ne pas être aveugle et, redoutant d’être banni le vendredi suivant de mon
Weitere Kostenlose Bücher