La Volte Des Vertugadins
une fois, dégagées des cotillons et vertugadins qui
alourdissaient leur marche, des basquines qui corsetaient leurs poitrines, des
corps de cotte trop serrés et des chaussures trop étroites, évoluant quasiment
en leur natureté, telles que Dieu les avait faites pour se plaire à elles-mêmes
et pour le plaisir des hommes.
On avait disposé dans la salle, de place en place, des
braseros qui leur permettaient d’évoluer à demi nues sans être glacées par la
froidure de l’hiver, tant est que leurs souffles pressés, leurs mouvements vifs,
quoique gracieux et scandés par les violons, et les perles de sueur qu’on
voyait à leurs fronts avaient embué les petits carreaux des hautes fenêtres,
créant une atmosphère chaude et intime, où flottaient, en même temps que leur odor
di femina, les parfums dont elles s’étaient vaporisées avant d’entrer en
lice. Il n’y avait là que des beautés en bouton bien connues de la cour, deux
ou trois filles d’honneur de la Reine que j’avais rencontrées et qui me
baillèrent au passage un sourire rapide, Noémie de Sobole qui me glissa en
tapinois un regard tendre, et, assurément, la plus belle de toutes, tant par le
minois que par le corps. Charlotte de Montmorency qui, me jetant de haut un œil
dédaigneux, feignit de ne pas me reconnaître.
Peu m’importait ! Je savais ce que valait l’aune des
sourires enchanteurs, des œillades prometteuses et autres javelots meurtriers
de cette ambivichieuse ! Et n’avais-je pas, céans, dix-neuf autres
filles pour me consoler en mon imagination de ses mépris, bonnes, celles-là,
autant que belles, à moi sûrement très affectionnées et si pliables à mes
désirs que je rêvais, dans l’ivresse du moment, de multiplier mon corps par
dix-neuf afin de les posséder toutes dans le même temps… Béni soit mon ange
gardien pour s’être bien gardé d’ouïr ce vœu impie, et bien d’autres que je
n’eus pas la force d’articuler, mais qui me traversèrent les membres, la tête
et la poitrine de petits éclairs crépitants.
En quittant la Grande Galerie, je ne dirais pas sur les
talons de Romorantin, car il avait pris beaucoup d’avance sur moi, j’étais
quasi titubant pour avoir absorbé tant d’allèchements et il me fallut arrêter
ma marche pour reprendre mes esprits. En quoi j’eus bien tort, car dès qu’ils
furent de nouveau les maîtres de ma conscience, ils commencèrent à me
tourmenter pour avoir été infidèle, fût-ce en pensée, à Madame de Lichtenberg.
Par bonheur, Romorantin, qui avait repris de l’aplomb maintenant qu’il se
sentait à l’abri du sexe abominable, revint sur ses pas et, me saisissant le
bras qu’il pétrit incontinent, me dit :
— Allons ! Chevalier ! Allons ! C’est
assez regarder ces pécores ! Ne vous attendrissez pas ! Ferez-vous
attendre le Roi ?
Mais le Roi ne m’attendait pas et dans son cabinet, je ne
trouvai que le Duc de Bellegarde, lequel, sans me laisser le temps de lui
donner du « Monseigneur », m’accola et me demanda en riant
« comment j’avais trouvé les nymphes ? ». Ce début dégoûta si
fort Romorantin qu’il se retira sans tant languir, faisant tant de révérences
au Duc et de saluts en huit avec son chapeau que les grandes plumes jaunes,
vertes et blanches qui le couronnaient me parurent laisser dans l’air après son
départ des traces brillantes et colorées.
Bellegarde qu’on appelait Monsieur le Grand, parce qu’il
était Grand Écuyer de France, était ami de vieille date de mon père qu’il avait
connu à la cour d’Henri III. De ce roi magnifique, dont on sait qu’il
avait été quelque peu le mignon, il ne laissa pas d’être ensuite un des
serviteurs les plus fidèles, à la différence des Ducs de Joyeuse et d’Épernon
qui, chéris et comblés, avaient mordu la main qui les avait nourris.
Il avait toujours semblé étrange à mon père que Bellegarde
ait eu des complaisances pour Henri III, car il aimait les femmes à la
fureur et comme Bassompierre, dont il était à la cour l’ami et le rival, il
trouvait peu de rebelles sur son chemin, même à quarante-sept ans (âge qu’il
avait alors), mais bel encore et vigoureux, et d’une santé à faire un
centenaire.
J’ai ouï dire à mon père que même dans le libertinage,
Bassompierre témoignait de ses vertus allemandes, mettant de l’application et
de la méthode jusque dans sa séduction. Bellegarde était plus cohérent :
il était
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