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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ses
baisers tant il était encore hérissé et quand, enfin, il y consentit, il resta
droit, la forçant de se hausser pour atteindre sa joue.
    Avec quelle précision cette image-là de mon père s’est imprimée
en ma remembrance ! Quelle belle figure d’homme c’était : la taille
bien prise, la membrature fine mais musculeuse, agile et gracieux en ses
mouvements, la tête haut portée, l’œil fin, le cheveu à peine marqué de blanc
sur les tempes – et à la mode nouvelle, qui n’était pas celle de sa
jeunesse, la moustache gaillardement troussée, une mouche de poils sous la
lèvre, la barbe restreinte aux contours du menton, le reste rasé de près ;
un air tout à la fois de vaillance et de prudence, la parole facile mais
retenue, le bleu de l’œil tendre, amusé, irrité, jamais éteint ; une
allure à ne pas se laisser morguer, mais sans morgue lui-même, amical à tous,
en particulier aux petits, complimenteur aux dames, adroit au commerce de la
cour, mais sans bassesse, aimable, en un mot, comme on ne l’est que dans ce
Périgord dont il était issu ; et je le dis en dernier, bien que ce ne fût
pas, à mes yeux, la moindre de ses qualités, vêtu toujours avec la plus grande
recherche, mais dans les notes sombres, et quand la vogue en fut venue, le
premier à porter les grands cols brodés qui dégageaient le cou au lieu de la
fraise qui l’engonçait, « invention italienne disait-il, et des plus
sottes ! »
    Ainsi regardais-je en ma juvénile admiration ce parangon de
toutes les vertus viriles, tenant embrassée son enfantine Altesse, si charmante
en ses naïvetés, si difficile en ses humeurs. Je me sentais heureux de garder
Toinon et de voir s’accommoder l’un à l’autre mon père et ma marraine. Hélas,
ce ne fut qu’un répit ! Et la minute d’après, à une remarque de la
Duchesse, qu’elle croyait propitiatoire, c’en fut bien fini de la bonace. La
plus aigre bise souffla de nouveau en rafales !
    — Savez-vous, dit-elle, la nouvelle de grande
conséquence que je venais annoncer à celui-là, quand je l’ai surpris avec cette
pécore ? J’ai demandé au Roi et obtenu de lui, étant de ses cousines
assurément la plus aimée, qu’il prenne mon filleul pour page. Et ma fé !
la chose est faite, Pierre entre lundi au service du Roi !
    À ces mots, mon père qui tenait la Duchesse aux épaules la
lâcha, recula d’un pas et entra contre elle dans une épouvantable colère, la
mâchoire crispée et les yeux étincelants.
    — Mais vous êtes une folle. Madame, une folle ! Et
qui pis est une opiniâtre ! Qui vous a donné mandat de faire au Roi une
demande pareille ? Comment avez-vous pu prendre pareille chose sous votre
bonnet ? Vous ai-je rien requis de semblable ? Faut-il que vous
agissiez toujours à l’étourdie comme un bourdon ! Croyez-vous que mon fils
vous appartienne pour décider de son avenir sans même me consulter ? Ne
voyez-vous pas que par votre sotte initiative, vous me mettez au hasard de me
brouiller avec Sa Majesté ?
    — Comment cela, vous brouiller ? dit ma pauvre
marraine, pâlissante et abasourdie. Avoir un fils page auprès du Roi, un fils
qui a ses entrées au Louvre et accès quotidiennement à la personne royale,
n’est-ce pas le rêve en ce pays de toute famille noble ?
    — Mais ce n’est pas le mien. Madame ! Tant s’en
faut ! Vous l’auriez appris de moi, si vous aviez daigné m’en parler,
avant de vous jeter tête baissée dans cette aventure. Sachez-le, je tiens que
les pages au Louvre, c’est tout justement l’école de la fainéantise et de la
corruption ; au mieux, des confidents ! au pis, des petits laquais,
des vas-y-dire, des entremetteurs, et parfois même des mignons ! Encore
qu’avec le roi régnant, je vous l’accorde, il n’y ait guère de risque à cela.
Cela n’est pas la condition où je veux voir mon fils !
    — Et où voulez-vous le voir, Monsieur, dit-elle toute
rebéquée, vous qui le prenez de si haut avec moi ?
    — À ses études, afin de ne pas demeurer, comme tant de
Grands que je pourrais nommer, un ignare et un indocte !
    — Qu’a-t-il besoin de tout ce petit savoir de pédant
puisqu’il est mon filleul ? Pourquoi faut-il qu’il apprenne le
latin ? Allez-vous le mitrer et lui mettre la crosse en main ? Et
pourquoi se rompt-il la tête à entendre la mathématique ? En ferez-vous un
marchand ? Et à quoi lui serviront tout l’anglais et l’italien que

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