La Volte Des Vertugadins
lui
fourre dans la tête cette pécore qui vient ici tous les jours faire sa
renchérie ? Va-t-il devenir le petit truchement crotté d’un
ambassadeur ? Est-ce là toute l’ambition, Monsieur, que vous nourrissez
pour mon filleul ?
— Ventrebleu, Madame, vous y revenez toujours !
Vos idées fausses sont comme du chiendent. On en arrache un pied, il en
repousse dix !
— Mais c’est qu’à la fin, je n’en peux plus de vous
voir attacher tant de prix à cette cuistrerie ! Les livres, toujours les
livres ! Pour vous le dire tout net. Monsieur, voilà qui fleure bien
encore son huguenot, tout converti que vous prétendez être ! On dit
bien : la caque [4] sent toujours le hareng.
— Madame, dit mon père, blanc de fureur, cette parole
est misérable ! Si cette caque que voilà sent le hareng, alors je n’ai
qu’un conseil à vous donner : gardez-vous à l’avenir de vous en approcher.
Et lui tournant le dos, il se mit à marcher de long en large
dans la pièce, les poings serrés et sans jamais jeter l’œil sur elle. Pour moi,
je trouvais que c’était là une chose bien cruelle à dire à une femme amoureuse.
La pauvrette parut terrifiée, balançant à en croire ses oreilles, hésitant
entre la hauteur et les larmes et ne sachant, dans son désarroi, quel parti
prendre.
Dans son mouvement de va-et-vient, mon père, à un moment,
nous tourna le dos et j’en pris l’occasion pour m’approcher de ma marraine et
lui glissai à l’oreille :
— Cédez, Madame, cédez !
Elle céda, mais en sa simplesse, d’une façon qui s’avéra
bien pire que n’eût été la poursuite de sa rébellion.
— Eh bien, Monsieur ! dit-elle, puisque nous avons
dispute à ce sujet, et si assurée que je sois d’avoir raison, vous êtes un si
grand tyranniseur qu’il faut bien que je mette les pouces. Dès demain, j’irai trouver
Sa Majesté pour lui dire que vous ne voulez pas de la faveur qu’il vous fait.
— Par le ciel, Madame ! rugit mon père en levant
les deux mains vers ce ciel qu’il invoquait, gardez-vous-en bien !
Voulez-vous que le Roi nous haïsse, mon fils et moi, pour lui avoir fait cette
braverie ? Ne connaissez-vous pas ses humeurs et ses colères, tout bon
qu’il soit au fond du cœur ? Testebleu, Madame, je vous en prie, n’y
mettez plus le doigt ! Vous avez assez brouillé ! Laissez-moi démêler
seul cet écheveau et y chercher le meilleur remède !
— Suis-je donc si obtuse que je ne puisse, devant le
Roi, trouver les mots qu’il y faudrait ?…
— Non, Madame, dit mon père, se calmant par degrés,
vous n’êtes pas obtuse. Vous êtes pire : vous êtes irréfléchie. Et puisque
nous en sommes à nous faire des jurements sur les choses les plus simples,
jurez, je vous prie, jurez en conscience, que vous n’en toucherez mot à Sa
Majesté, mieux, que vous éviterez de vous trouver en sa présence, tant que je
n’aurai pas désentortillé avec lui cette affaire.
— Je le jure, Monsieur, dit-elle, attachant ses yeux
bleus sur lui avec une mine qui montrait bien que lorsqu’elle consentait à
oublier son rang, elle savait fort bien s’y prendre avec mon père.
Il y eut là-dessus un petit silence et un échange de regards
qui, à mon sentiment, arrangea bien les choses, encore que la dispute
continuât, mais du seul fait de sa propre impulsion et sur un ton qui laissait
deviner qu’on ne querellait plus que par point d’honneur et pour ne pas céder à
l’autre aussi vite qu’on eût désiré.
— Ainsi, Madame, dit mon père, le sourcil froncé, mais
la lèvre à demi souriante, je serais à vos yeux un grand tyranniseur ?
Vous ne me ménagez guère, ce me semble.
— Et moi, Monsieur, à vous ouïr, je serais une
brouillonne et un bourdon ?
— Ai-je dit bourdon ? dit mon père en levant le
sourcil.
— Assurément.
— Alors, je vous en fais mes excuses. Par égard pour
votre aimable sexe, c’est abeille qu’il faudrait dire. Et pour retrouver une
tant jolie abeille blonde que vous. Madame, dit mon père d’un ton tout à la
fois moqueur et galant, je me mettrais en danger d’entrer jusqu’au cœur de la
plus vrombissante ruche.
— Je ne sais si j’aimerais être abeille, dit la
Duchesse, trouvant que le compliment tenait davantage du raisin que de la
figue : une abeille pique et meurt.
— C’est la différence avec vous. Madame : vous
piquez, mais vous ne mourez pas.
— Quoi ? dit-elle avec une petite moue
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