La Volte Des Vertugadins
pensant qu’elle
aurait, comme à l’accoutumée, un long et tendre entretien avec mon père avant
que de monter me voir, étant par ailleurs si respectueuse de mon repos, je
poursuivis sans tant languir la cueillette commencée.
Je sus plus tard par Mariette que la Duchesse ne trouvant
pas mon père au logis, et paraissant toute ébulliente, affairée, et « les
joues », dit Mariette, « comme gonflées d’une grande nouvelle qui
vous concernait, mon mignon, et dont elle voulait vous faire part »,
décida de monter incontinent me la dire, quelque peine qu’elle eût à gravir les
degrés du viret, s’étant foulé une cheville la veille et s’aidant d’une canne
pour marcher. « Mais Mariette, dis-je, ne pouvais-tu sous un prétexte ou
un autre l’en empêcher ? – Mais je ne le pus ! Vous connaissez
Son Altesse ! Quand elle s’est mis quelque chose en tête, même les
arquebusiers du Roi ne sauraient l’arrêter ! »
J’entendis son pas et sa canne retentir sur le passage qui
menait à ma chambrette et sa voix me crier triomphalement, avant même qu’elle
ouvrit la porte : « Mon filleul, réveillez-vous ! Vous êtes page
du Roi de France ! » L’instant d’après, la porte s’ouvrit, et la foudre
tomba sur nous.
Elle ne tomba pas aussitôt. Il y eut d’abord cette étrange
accalmie qui précède la tempête. Quand je me fus dégagé de l’étreinte de Toinon
(non sans mal, elle n’avait rien entendu, étant partie déjà hors de ce monde)
et me tournai vers la porte, me levant, rajustant en hâte mon haut-de-chausses,
je vis la bonne duchesse clouée sur le seuil, son œil qui, de toute façon,
était déjà un peu rond, arrondi plus encore par la stupéfaction, et allant de
Toinon à moi et de moi à Toinon, comme si elle hésitait à croire ce qu’elle
voyait : spectacle qui était pourtant assez éloquent pour la persuader
qu’elle ne se trompait pas, Toinon n’arrivant pas, dans sa hâte, à remettre son
coupable petit derrière dans son cotillon et, quand enfin elle y fut parvenue,
trouvant autant de difficulté à emprisonner ses mignons tétins dans son corps
de cotte.
Je vis bien, toutefois, que l’œil de la Duchesse, tout bleu
qu’il fût, noircissait fort et que l’orage allait éclater. En effet, le temps
pour elle de retrouver son souffle, ses esprits et ses mots, et cette nuée
creva sur nos têtes en éclairs crépitants et en cinglante pluie.
— Eh bien, qu’est-ce ? Qu’est-ce ? Qu’ai-je
vu ? À votre âge, mon filleul ! Devant moi ! Le guilleris
brandi ! Le jour même où je vous annonce que le Roi vous reçoit parmi ses
pages ! Quoi ? Vous coqueliquez comme rat en paille ! Qui pis
est, avec une souillon de cuisine !
Elle s’arrêta, la voix lui manquant.
— Madame la Duchesse, dit Toinon, rouge de honte et de
colère, et de ses doigts tremblants essayant de lacer son corps de cotte,
pardonnez-moi, mais je ne suis pas une souillon de cuisine. Je suis soubrette
en ce logis.
— Le diantre soit de l’effrontée ! Elle me
répond ! Cette putain cramante ose me répliquer !
— Madame la Duchesse, dit Toinon, redressée comme un
petit serpent sur sa queue, pour aimer l’amour hors mariage, on pèche
assurément, mais on n’en est pas pour autant putain. Sans cela, il faudrait
donner ce nom à plus d’une en ce pays ! Et qui sait même ? à de
hautes dames qui n’ont pas, comme moi, l’excuse de la jeunesse.
À ce coup de dent, auquel elle ne s’attendait guère, venant
de si bas, ma pauvre marraine rugit comme lionne blessée et brûlant les étapes
en son mal avisé courroux, elle cria :
— La peste soit de la dévergognée ! Quoi !
Elle réplique encore ! Elle ose ! Ce petit excrément ne se contente
pas de puer : il ouvre sa petite bouche de merde. À la porte, catin !
reprit-elle, sa voix se haussant jusqu’au strident. À la porte, loudière
d’enfer ! À la porte, follieuse ! Je te chasse sur l’heure, à
l’instant ! Gagne ton galetas, fais tes paquets et prends le large !
Que je ne voie plus jamais céans ton odieuse face ! Ce n’est point ici ta
place ! Ta place est aux étuves pour y vendre ton devant aux pesteux !
— Ma bonne marraine ! criai-je, trouvant que la
chose allait véritablement dans l’excès.
Mais pris entre deux langues bien acérées, je n’eus pas le
loisir d’en dire davantage. Mon petit serpent dressa de nouveau sa tête et
donna dur et droit sur le point
Weitere Kostenlose Bücher