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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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il le considéra un moment en silence de ses yeux vairons
et lui demanda gravement s’il désirait ouïr son sentiment au sujet de cette
dispute.
    — Mais c’est tout justement cela que je veux, dit mon
père.
    — Eh bien, dit le Chevalier, je ferai deux remarques.
La première, c’est que vous auriez bien dû renvoyer Toinon, son insolence ayant
dépassé les bornes.
    — C’eût été, en effet, souhaitable, dit mon père, mais
du moment que la Duchesse en avait décidé ainsi sans mon agrément, je ne
pouvais me soumettre à sa décision sans créer un dangereux précédent.
    — Il se peut que votre point d’honneur vous en ait fait
exagérer le péril, dit La Surie avec un sourire. De tout le temps où je vous ai
vu l’ami de la Duchesse, c’est plutôt elle qui s’est soumise à vous, et non
l’inverse… Voulez-vous ouïr ma deuxième remarque ?
    — Volontiers.
    — À écouter votre récit, il m’a semblé que vous vous
étiez montré un peu rude avec Madame de Guise.
    Mon père me jeta un coup d’œil vif, puis détourna la tête et
resta silencieux.
    — Mais enfin, cela ne me concerne pas, dit La Surie au
bout d’un moment.
    — Miroul, dit mon père, en passant du
« vous » au « tu », et en lui donnant le nom que le
Chevalier portait avant son anoblissement, La Surie étant le nom de sa terre, tu
sais bien que j’aime solliciter tes avis, faisant confiance en ta sagesse.
Aurais-tu quelque idée sur la façon dont je devrais m’y prendre avec le Roi
pour lui dire, sans le fâcher, que je n’ai pas du tout appétit à ce que Pierre
devienne son page ?
    Il ne m’échappa pas que la question de mon père ne répondait
pas à la remarque du Chevalier sur sa rudesse à l’égard de Madame de Guise, et
que le « tu » et le « Miroul » avaient été employés à
dessein pour se faire pardonner ce silence. Le Chevalier l’entendit bien ainsi,
car son visage fin et anguleux s’éclaira d’un sourire et son œil marron
pétilla, tandis que son œil bleu restait froid. Tant qu’il fut avec nous –
et il le fut, Dieu merci, jusqu’à sa mort, suivant de peu mon père dans la
tombe – j’ai vu plus de mille fois cette expression sur le visage du
Chevalier. Et elle m’a toujours touché, même quand j’étais trop jeune pour
exprimer par des mots ce qu’elle voulait dire : une affection sans bornes
pour mon père, mêlée à l’amusement que lui donnaient ses petites stratégies.
    — Eh bien, dit le Chevalier, après un moment de
réflexion, vous connaissez le Roi. Il a beaucoup d’esprit. Il est fin,
primesautier, il conte vite et bien, il aime les saillies, il déteste les
grands discours : faites-lui un récit vif et plaisant de l’affaire, à
partir du moment où la Duchesse a surpris Pierre avec Toinon.
    — Dieu du ciel ! m’écriai-je.
    Et mon père se mit à rire.
    — Eh bien, vous voyez ! reprit le Chevalier, le
Roi rira lui aussi et riant, il ne pensera pas à s’offusquer de votre refus. En
outre, étant lui aussi, comme vous a dit la Duchesse, « une caque qui sent
encore le hareng », il comprendra mieux qu’un autre le souci huguenot que
vous avez de l’éducation de votre fils.
    — C’est bien pensé, dit mon père. Je verrai Sa Majesté
après-demain, je pense, et si je parviens à demeurer seul avec Elle, je lui
ferai ce conte que vous dites. Et de ce pas, ajouta-t-elle en se levant, j’y
vais rêver à loisir dans mon lit.
    — Rêvez aussi, dit La Surie, que vous faites un joli
cadeau à la Duchesse…
    — Quoi ? dit mon père avec une feinte indignation,
c’est vous, Monsieur le Chevalier, qui m’engagez sur le chemin des dépenses
somptuaires ? Vous, si ménager d’ordinaire de mes deniers ! Vous, si
ennemi du luxe superflu !
    — Dans la Grèce antique, dit le Chevalier, lorsqu’on
avait offensé, si peu que ce soit, une déesse, on se hâtait de déposer à ses
pieds une offrande.
    — Voilà qui est gracieux ! mais diantre si je sais
ce que j’ai à me faire pardonner ! D’avoir eu raison, peut-être ?
    — Certainement, dit le Chevalier. C’est un grand tort
d’avoir raison contre un ami, et pis encore, contre une amante.
    — Alors faites-moi à moi-même un cadeau ! dit mon
père en riant.
    Et lui ayant donné du bon du cœur une forte brassée, il me jeta
un bras par-dessus l’épaule et me conduisit jusqu’à ma chambrette, laquelle
était attenante à la sienne.
    Le lendemain de sa dispute

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