La Volte Des Vertugadins
le duché de Clèves ? Ou l’Espagnol qui,
du temps de la Ligue, avait entrepris sur Marseille, suscité ensuite contre la
vie d’Henri les complots du Maréchal de Biron et du Comte d’Auvergne, et attiré
ce jour d’hui le Prince de Condé sur ses territoires pour le dresser contre son
oncle ?
Je n’y étais point du tout. « L’ennemi », c’était
les huguenots français et il convenait « de châtier ces mutins » et
« d’extirper toute cette race de mutins de votre cour, Sire, et de les
exiler ». Le père Gontier prononçait ces paroles avec une superbe assurance,
non seulement devant le Roi à qui il paraissait donner des instructions venues
du ciel, envoyé qu’il était, quoique indigne, par le Saint-Siège, mais
aussi devant Sully, le Duc de Bouillon, le Maréchal de Lesdiguières et bien
d’autres seigneurs grands et petits de la cour, tous protestants.
Le prétexte de ces propos témoignait, chez le père Gontier,
d’une certaine astuce, puisqu’il retournait contre les huguenots une arme qu’un
d’entre eux bien imprudemment lui avait fournie. Celui-là était un ministre de
la religion réformée nommé Vignier. Il avait écrit un plaisant pamphlet sur
l’excommunication des Vénitiens, puis une Histoire de l’Église qui
n’était point fort tendre pour la papauté et venait juste de publier Le
Théâtre de l’Antéchrist où, emporté par sa verve et l’esprit de parti, il
disait du Pape qu’il était l’Antéchrist.
D’après L’Apocalypse, dernier livre du Nouveau
Testament, dû à saint Jean et qui traite des destinées ultimes de notre monde,
l’Antéchrist est un personnage maléfique et fabuleux qui, apparaissant peu
avant la fin du monde, remplira la terre de ses crimes et de ses impiétés,
avant d’être vaincu par le Christ, lequel, une deuxième fois, sauvera
l’Humanité.
De la part de Vignier, m’expliqua plus tard Fogacer, coudre
Paul V dans la peau de ce prince du mal était aussi injuste
qu’inconsidéré. Vignier eût mieux fait de résister à la tentation de rendre
coup pour coup, car le Saint-Siège, par malheur, n’avait pas hésité, pour sa
part, à flétrir du nom d’Antéchrist absolument tous les réformateurs qui,
depuis deux siècles, avaient tâché de rhabiller les abus et les scandales de
l’Église catholique : Jan Hus, en Bohême, Luther en Allemagne, Calvin en
France. Mais « l’œil pour œil » de Vignier tombait fort mal car, à la
différence de certains de ses prédécesseurs, Paul V édifiait toute la
chrétienté par l’odeur de ses vertus. « À part la tolérance, dit Fogacer,
il les possède toutes. – C’est toutefois la principale », fit
remarquer mon père. Mais Fogacer n’en voulut pas tomber d’accord. Il avait
pourtant, quant à lui, une fort bonne raison de souhaiter qu’on vit régner sur
terre un peu plus de cette vertu-là.
Pour en revenir au père Gontier, il aimait, comme souvent
les jésuites, démontrer sa thèse par le moyen du syllogisme. Et celui-là était
d’or : les huguenots prétendent que le Pape est l’Antéchrist. Si le Pape
est l’Antéchrist, les légats et les évêques mandatés pour célébrer le mariage
du Roi sont des faussaires. Donc, ce mariage est nul et le Dauphin est bâtard.
Donc, « l’ennemi s’en prenant, Sire, à votre famille et succession royale,
choque sur votre sceptre et foudroie votre couronne ».
Que ce discours fût captieux, cela sautait aux yeux. Vignier
avait parlé en son nom seul et son opinion ne pouvait être imputée à l’ensemble
des huguenots. Ceux-ci, de reste, n’avaient jamais attaqué la légitimité des
mariages catholiques pour la raison que, s’ils l’avaient fait, la plupart des
Français eussent été des bâtards, proposition aussi absurde qu’injurieuse. En
réalité, la cible de ce discours n’osait pas se nommer. L’ennemi, c’était le
Roi, puisqu’il « présentait, selon Gontier, la guerre au peuple de France
lorsque l’Église lui chantait la paix… Que s’il chantait avec elle cette paix,
le Roi conserverait ses sujets sains et sauvés, tant qu’il plaira à la divine
bonté de le maintenir en heureuse santé et vie ».
N’était-ce pas suggérer là et suggérer fortement, que si le
Roi s’obstinait en ses alliances protestantes et sa politique de guerre, Dieu
pourrait peut-être cesser de le garder en vie…
Quelques jours plus tard, nous sûmes, par Fogacer, qu’un
autre père jésuite,
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