La Volte Des Vertugadins
Il condamne aussi ses pièces annexes, parmi lesquelles se trouve la
sentence de mort prononcée par le Parlement de Paris contre Jean Châtel,
reconnu coupable de tentative de meurtre sur ma personne.
Son interlocuteur persistant à se taire, le Roi reprit d’un
ton mordant :
— Monseigneur, puis-je vous ramentevoir qu’à mon retour
de Picardie Jean Châtel se glissa parmi la foule des courtisans au Louvre et,
me croyant revêtu d’une cotte de mailles, me voulut frapper au cou avec son
couteau. Fort heureusement, la Providence voulut que, juste au moment où il me
frappa, je me baissai pour relever Monsieur de Montigny qui s’était agenouillé
devant moi et la lame, n’atteignant que ma lèvre supérieure, s’arrêta sur une
de mes dents qu’elle coupa à moitié. Vous imaginez le dommage que ladite lame
eût fait dans mon cou si elle l’eût pénétré. Or sus ! Que se
passa-t-il ? Le Parlement de Paris jugea Châtel et le condamna à mort.
Qu’eût voulu le Saint-Siège que nous fissions ? Que Châtel fût innocenté ?
Et libéré, pour qu’il pût recommencer, avec plus de succès cette fois, à me
bailler de son couteau ? Que veut dire cette suppression de l’arrêt de
mort contre Châtel ? Le Saint-Siège regrette-t-il la mansuétude à mon
endroit dont avait fait preuve alors la Providence, quand Elle me fit me
baisser pour échapper au couteau de l’assassin ?
Comme le nonce fut un moment avant de répondre à cette
question irritée, je lui jetai un œil dans le miroir. Son teint rose, en
rougissant, s’était rapproché quelque peu de la teinte de sa soutane pourpre,
son visage avait pris un air plaintif et douloureux et quand il parla, on eût
dit qu’une viole sanglotait dans sa voix.
— Sire, dit-il, je serais infiniment désolé que vous
puissiez penser que le Saint-Père ait pu faillir un seul instant à l’affection
qu’il vous porte. Il se peut, bien entendu, que les prélats du Saint-Office qui
lui ont conseillé cette condamnation, aient pensé que, puisqu’on supprimait le
discours d’Arnauld, il y avait quelque logique à supprimer ses annexes.
— Le procès de Jean Châtel, dit le Roi et le procès des
jésuites sont deux choses différentes. On peut déplorer l’éviction des jésuites
sans pour cela regretter la condamnation de l’homme qui a voulu m’assassiner.
J’honore et vénère le pape Paul V et me réjouis grandement que vous me
disiez qu’il a de l’affection pour moi, mais j’aimerais mieux qu’il
m’affectionne vivant plutôt que mort !
— Ah ! Sire ! dit le nonce, je serais dans le
plus grand chagrin si cette idée vous pouvait traverser la cervelle. Je puis vous
assurer que Sa Sainteté prie tous les jours pour votre conservation.
— Je lui en sais le plus grand gré. Considérez,
cependant, le désordre que l’édit pontifical a introduit dans mon royaume. Le
Parlement, excessivement indigné qu’on ait pu supprimer la juste sentence qu’il
a prononcée et qui punissait de mort un régicide, a déclaré l’édit pontifical
entaché d’abus et a ordonné qu’on le brûle.
— Ah ! Sire ! Cela va dans l’excès !
— Ni plus ni moins que l’édit qui est ainsi
sanctionné ! Mais Monseigneur, ne craignez pas : j’ai interdit au
Parlement d’exécuter sa sentence, non seulement en raison du scandale qui en
rejaillirait sur toute la chrétienté, mais aussi parce que commencerait
aussitôt en Paris une guerre de libelles, les uns opinant pour, les autres
contre et qui sait si quelques fols n’iraient pas conclure que, puisque l’édit
pontifical a absous Jean Châtel, il est devenu à s’teure loisible de me tuer…
— Ah ! Sire ! Ce propos me déchire le
cœur ! J’en suis meurtri jusqu’au tréfonds. Je pâmerais, je crois, si je
devais en ouïr davantage. Sire, je vous supplie de me permettre de me retirer.
— Monsieur le nonce, dit le Roi non sans quelque
sarcasme, de grâce, ne pâmez point, avant d’avoir ouï la conclusion que je tire
de l’examen de l’édit pontifical. Je n’ai rien à redire à la condamnation de l’ Histoire
Universelle du Président De Thou. C’est l’affaire du Saint-Office. En
revanche, je sourcille à la condamnation d’Arnauld contre les jésuites qui, à
l’époque, ne se justifiait que trop. Et quant à la suppression du jugement
condamnant Châtel, poursuivit le Roi en haussant la voix, je la considère non
seulement comme entachée d’abus, mais
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