La Volte Des Vertugadins
comme successeur au trône de France, au
cas où le Roi viendrait à disparaître… Mais même alors je ne sais si le Prince
lui-même aimerait poursuivre ce périlleux petit jeu jusqu’au bout. Il serait
trop facile de lui jeter au nez sa propre naissance dont la légitimité est
elle-même plus que douteuse. Il n’empêche que, pour l’instant, le Prince fait
un excellent pion aux mains des Espagnols et qu’ils vont s’en servir comme
Philippe II s’est servi du Duc de Guise contre Henri III : comme
d’un fanion pour rallier les ligueux, les mécontents et les traîtres.
— Oui, vous avez raison, Fogacer, dit mon père, et la
guerre, alors même qu’elle n’a pas encore éclaté, commence fort bien pour les
Espagnols. Ils détiennent un gage précieux à Milan dans la personne du Prince
et un autre gage encore plus précieux dans la personne de la Princesse à
Bruxelles. Celle-là, vous pouvez être assuré qu’ils en demanderont un bon
prix – en place forte, en territoire, en honneur, en prestige – quand
le moment sera venu pour eux de la monnayer.
L’échec de l’enlèvement de la Princesse à Bruxelles et la
proclamation du Prince à Milan eurent lieu, si je ne me trompe, fin mars 1610
et c’est au début avril que je fus mandé au Louvre par Henri pour écrire et
traduire une lettre à un prince allemand. Je trouvai le Roi bien plus calme et
résolu que je ne l’avais jamais vu depuis cette soirée fatale où il perdit sa
bien-aimée. Il expédia sa lettre avec une rapidité exemplaire, les mots coulant
de source comme s’il les avait déjà médités. Et quant à moi, à mon humblissime
échelle, je me sentis aussi bien plus sûr de moi pour la raison que j’avais
emporté, dans l’emmanchure de mon pourpoint, un petit dictionnaire d’allemand
dont je comptais me servir, si besoin en était. Bref, dictée et traduction,
tout se fit dans un battement de cil et, ma tâche terminée, Henri me parla avec
entrain de ses préparatifs de guerre, mais sans mentionner la Princesse, comme
il l’avait fait si souvent à ceux de son entourage, depuis qu’elle avait passé
les frontières, en se plaignant de la douleur qu’il éprouvait de se voir ainsi
privé d’elle, en termes touchants et quasi naïfs.
Ma tâche de truchement achevée, je demandai au Roi la
permission d’aller voir le Dauphin. Il acquiesça, étant content de
l’attachement que je montrais à son fils aîné, lequel était sincère,
assurément. Toutefois, sachant que Mademoiselle de Fonlebon, sur les six
heures, allait dire bonsoir au Dauphin, et se faire baiser par lui sur les deux
joues, j’espérais la trouver chez lui. Le hasard fit les choses autrement.
J’appris du page que le Dauphin se trouvait chez la Reine, mais comme je m’en
retournais, je rencontrai sur le seuil de son appartement Mademoiselle de
Fonlebon qui, comme moi-même, le venait visiter. Je fus d’abord enchanté de lui
parler au bec à bec sans que la Marquise de Guercheville projetât son ombre sur
nous. Mais quand je la vis pâle, tremblante et les yeux rougis, je m’en émus
fort et lui demandai la cause de son chagrin. Elle ne voulut pas me la confier
de prime, mais à force de la presser avec toute la tendresse que je pus mettre
dans mon propos, elle finit par tout me dire.
— Ah ! Monsieur mon cousin ! dit-elle en me
prenant les deux mains, que j’eusse mille fois préféré être laide et que pareil
prédicament ne me fût jamais tombé sus ! Hélas ! Le peu de beauté
qu’on me trouve aura causé ma perte !
— Votre peu de beauté ? dis-je en me saisissant à
mon tour de ses mains et en les portant à mes lèvres. Ma cousine, c’est
blasphémer !
— Mais le pis, dit-elle en m’abandonnant ses mains, le
pis, ce fut ma fatale ressemblance avec la Princesse de Condé ! Ah !
que j’eusse préféré ressembler à force forcée à la Galigaï plutôt que d’être
exposée, comme ce fut le cas depuis plus d’un mois, aux assiduités du
Roi ! Encore, si c’eût été de sa part un doigt de cour discret mais,
vramy ! on n’aurait pas dit qu’il admirait tant L’Astrée ! Car,
en fait d’amour courtois, il y allait à la soldate ! Enfin, n’y pouvant
plus, je me suis jetée aux pieds de la Reine et je lui ai tout dit, n’ayant que
ce seul moyen de remparer ma vertu contre de tels assauts. La Reine fut fort
bonne. Elle me releva, me baisa sur les deux joues, me promit une dot quand je
me marierai, mais
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