La Volte Des Vertugadins
son commandement fut sans appel ; dès demain, il me
faudra partir, sous bonne escorte, pour le Périgord et la maison de mes
parents. Assurément, je les aime, mais, Monsieur mon cousin, après les fastes
de la cour, après cette belle Paris, c’est un désert que le Périgord !
Qui, je vous le demande, qui me viendra voir, quand je serai si loin ?
— Mais moi, ma cousine, moi ! Je passe tous mes
étés à Mespech. Et Mespech n’est pas si loin du Castelnau des Caumont que je ne
puisse, en quelques heures de cheval, galoper jusqu’à vous !
Elle s’est alors jetée à mon cou, m’a embrassé sur les deux
joues, puis, d’une façon charmante, a rougi et s’est excusée de sa vivacité.
— Chevalier, dit-elle d’une voix pétulante, est-ce
vrai ? Est-ce vrai ? Me viendrez-vous voir ? Vous le
jurez ?
— Tant promis, tant tenu ! dis-je en levant la
main.
Quand le soir je contai la rencontre à mon père, il se
rembrunit.
— Ne vous avancez donc pas tant avec Mademoiselle de
Fonlebon ! Sa famille est fort haute, et si après vos avances, vous
décidez de vous retirer, ses parents pourraient s’en piquer.
— C’est que je l’ai trouvée si charmante et si
primesautière quand dans son désarroi elle s’est jetée à mon cou…
— Primesautière ? Ces manières chez les filles
sont toujours un peu calculées, mais le calcul est si rapide que le mouvement a
toutes les apparences de la spontanéité.
— Je trouve comique chez le Roi, dit La Surie, cette
passion subite née d’une simple ressemblance.
— Je ne la trouve pas comique, dit mon père. Elle
m’inspire, au contraire, quelque pitié pour cet amant quasi sexagénaire qui, au
désespoir d’avoir perdu sa maîtresse, se jette sur son sosie, lequel aussitôt
le rebute.
Mon père, comme j’ai dit, je crois, allait fort peu au
Louvre, et seulement pour faire service au Roi qui l’employait aux missions que
l’on sait. Toutefois, il aimait être informé de tout et dit devant moi un jour
à La Surie que Monsieur de La Force, huguenot et vieux serviteur d’Henri,
venait de faire nommer lieutenant dans la compagnie des gardes qu’il commandait
son fils, Monsieur de Castelnau. Comme peut-être bien mon père y comptait (si
sobre de détails que j’eusse été sur ma rencontre avec Mademoiselle de
Fonlebon), je dressai fort l’oreille à ce nom de Castelnau et dis :
— Monsieur, est-ce un Castelnau du Périgord ?
— Assurément, dit mon père.
— Ce serait donc un Caumont ?
— Comme son père, Monsieur de La Force.
— Nous serions donc quelque peu parents ?
— Nous sommes cousins, en effet, dit mon père en jetant
un œil à La Surie.
— Et comment est ce Monsieur de Castelnau ?
— Il a votre âge et aurait assez votre tournure, sauf qu’il
est fort brun avec des yeux noirs. Vous le pourrez voir au guichet du Louvre où
il est souvent de garde en remplacement de son père, en vertu de l’adage
militaire qui veut que le lieutenant fasse le travail du capitaine.
— Passe-t-il l’été à Castelnau ?
— Je ne sais, dit mon père avec un sourire. Vous
pourriez peut-être le lui demander en vous nommant à lui ? À ce que j’ai
ouï dire, c’est un jeune homme fort aimable.
— Est-il lui aussi huguenot ?
— Oui-da, comme son père. Monsieur de La Force échappa
par miracle à la Saint-Barthélemy. Il était alors fort jeune lorsque son frère
et son père furent dagués le 24 août, en Paris, par de bons chrétiens. Et
il eut l’émerveillable présence d’esprit de se laisser choir entre son père et
son frère en criant : « Je suis mort ! » La nuit venue, il
fut sauvé par un naquet [63] qui le
mena à l’Arsenal, chez Biron.
Quelques jours plus tard, mon père étant mandé au Louvre, je
lui demandai, non sans arrière-pensée, de l’accompagner, ce qui ne laissa pas
de l’étonner quelque peu, car il devait s’y rendre à l’heure de ma sieste, ce
qui voulait dire que je l’allais sacrifier. Néanmoins, sans dire mot ni sourire
le moindre, il acquiesça.
Je jouai de bonheur car, arrivé au guichet du Louvre, mon
père me dit sans y toucher :
— Voilà justement Monsieur de Castelnau de garde. Je
vais vous présenter à lui, puisque tel est votre désir.
À jeter l’œil sur Monsieur de Castelnau, je conçus quelque
envie de son habit bleu à parements rouges de lieutenant des gardes françaises,
lequel, pensai-je toutefois, me serait allé tout
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