La Volte Des Vertugadins
Héroard, ne serait-ce que parce qu’il voulait peut-être
consulter avec lui sur la maladie d’un tiers. En bref, avant même que je
parvinsse au bout de la grande allée de platanes, je me réconciliai avec mon
père tout à trac et avec moi-même par la même occasion, m’autorisant,
maintenant que je pensais de nouveau tant de bien de lui, à me pardonner mon
propre mouvement d’humeur à son endroit.
Au bout de la grande allée, je trouvai de nouveau le plein
soleil et apercevant à quelque distance une charmille, j’y fus attiré par
l’ombre qu’elle promettait et j’y portai mes pas. Mais comme je m’en
approchais, éclata le roulement de tambour de « l’appel aux armes »
et à peine revenu de la surprise d’entendre dans un jardin cet air de garnison,
j’en éprouvai aussitôt une seconde, car tournant autour de ladite charmille
pour en trouver l’ouverture, je découvris à six pas de moi, debout devant
l’entrée que je cherchais, un garçonnet qui maniait les baguettes avec une
dextérité et une sûreté d’exécution qu’on n’eût pas attendues de son âge car, à
ce qu’il me sembla, il n’avait pas plus de six ou sept ans.
Je m’arrêtai et remarquant qu’en jouant, il gardait dans son
maintien une raideur militaire, je m’amusai à entrer dans son jeu et m’arrêtant
à six pas de lui, je me mis au garde-à-vous.
Il parut assez satisfait de recevoir ce renfort, mais ce ne
fut qu’un coup d’œil, car il s’appliqua de nouveau à sa tâche et j’eus tout le
loisir de le considérer. De tout temps, j’ai pris le plus grand plaisir à
scruter les visages de mes semblables, tant est que mon père dut plus d’une
fois, en mes jeunes années, me rappeler à l’ordre : « Mon fils,
disait-il, gardez-vous de ficher vos yeux si continûment sur les gens. D’aucuns
pourraient s’en offenser et quand vous serez grand, de l’offense à l’épée, le
pas est vite franchi. »
Il ne pouvait l’être avec mon petit tambour, lequel,
d’ailleurs, ne me voyait pas, étant tout à ses baguettes. Ses yeux qu’il tenait
baissés, je me souvenais qu’ils étaient noirs, le nez me parut un peu long, les
lèvres rouges et charnues, les joues enfantines, j’entends plus rondes que les
miennes, et comme j’avais appris depuis peu le mot « prognathe » je
me demandai si je pouvais l’appliquer à son menton. Je tranchai que non. Il
saillait, assurément, mais point d’une façon disgracieuse. À ce moment le
garçonnet, levant les yeux de ses baguettes, me jeta un coup d’œil et je
décidai que je l’aimais bien. Si je devais m’en expliquer ce jour d’hui, je ne
sais ce que je pourrais en dire, sinon peut-être que son regard me parut franc
et qu’il sembla être content de ma compagnie. Se pouvait-il que le fils de
Monsieur de Mansan se sentît un peu seul dans ce jardin et dans ce
château ? Lui était-il interdit de jouer avec les enfants royaux ?
Il vint sans une faute au bout de « l’appel aux
armes » et après le dernier roulement, il fit un moulinet avec ses
baguettes qui eût fait honneur à un tambour chevronné. Après quoi, il les
glissa l’une après l’autre dans les deux fourreaux parallèles qui ornaient son
baudrier et son corps perdant aussitôt sa raideur, il se mit de lui-même au
repos. Sans doute avait-il entendu une voix, pour moi inaudible, qui le lui
avait commandé. Il me regarda alors. Ou plutôt, il regarda successivement avec
une grande attention mon arbalète, mon visage et mon chapeau. Puis il me dit au
bout d’un moment, avec un air de désapprobation polie :
— Meuchieu, vous ne m’ôtez pas vote chapeau…
Outre sa difficulté à prononcer le « s » qu’il
chuintait, et le « r » qu’il escamotait, il avait un léger
bégaiement.
— Le devrais-je. Monsieur ? dis-je, adoptant avec
lui l’aimable gravité dont mon père usait avec moi.
— Je chuis chu que oui, dit-il en me faisant
quelque peu la mine.
— Monsieur, je me découvrirai, dis-je sur le même ton,
si je connaissais votre qualité.
— Je chui, dit-il en tâchant de gonfler sa voix,
capitaine aux g a des fanchaises. Je commande la vingtième en ce
château.
Je fus touché de la naïveté avec laquelle il usurpait
l’identité de son père et décidai de poursuivre le jeu, puisqu’il lui plaisait
tant.
— Monsieur, dis-je en ôtant mon chapeau d’un geste
large et en m’inclinant, je suis votre serviteur.
— Seviteu,
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