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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Meuchieu, dit-il avec dignité,
comment vous nomme-t-on ?
    Il posa cette question sur le ton d’un officier s’adressant
à un soldat.
    — Pierre-Emmanuel de Siorac. Puis-je me couvrir ?
ajoutai-je. Le soleil est fort chaud.
    — Faites, Sio ac .
    Comme mon capitaine restait coi, paraissant à court de
commandements, et peut-être intimidé par la taille de sa recrue,
j’ajoutai :
    — Monsieur, peux-je poser une question ?
    — Faites, Sio ac .
    — Comment se fait-il, Monsieur, que vous jouiez du
tambour, puisque vous êtes le capitaine ?
    — Je emplache le tam bou. Il est malade.
    L’objection, visiblement, avait été prévue, et la réplique
ne manquait pas d’à-propos.
    Il reprit :
    — Ti ez -vous à l’ a balète ?
    — Non, je ne l’ai pas encore essayée.
    — Venez, il y a une chi ble là-bas pou le ti à l’ac.
    Il rectifia la position et reprit son ton militaire.
    — Je ma che le peu mier . Je bats le
tam bou et vous chui vezau pas.
    — Monsieur, quel air allez-vous jouer ?
    — L’ ode de bataille, bien chu.
    Cela allait de soi à condition de considérer que j’étais à
moi seul les cent vingt hommes de sa compagnie. Je le suivis, en tâchant de
rester derrière lui à son pas, ce qui n’allait pas sans difficulté, étant donné
la longueur de ses jambes et celle des miennes. Pourtant, il ne me vint pas à
l’idée qu’on eût pu trouver du dernier comique le spectacle d’un grand dadais
jouant aux gardes françaises et suivant à pas menus un petit tambour. La raison
en était qu’à mes yeux, ce que je faisais n’était pas plus ridicule que ce que
faisait mon père quand, couché sur le parquet de tout son long, il m’aidait à
ranger mes soldats en « ordre de bataille ». Dieu merci, je n’étais
plus un béjaune qu’on envoyait jouer au jardin avec une petite arbalète, mais
une grande personne indulgente qui se pliait au jeu d’un enfant.
    Mon petit capitaine m’amena au son de son tambour sur un
terrain de tir où s’élevait un édicule qui protégeait des intempéries une cible
en paille tressée et plusieurs arcs, dont l’un, le plus petit de tous, lui
était manifestement réservé. S’étant défait de son tambour, il s’en empara
ainsi que d’un petit carquois et me fit une démonstration de son adresse qui me
laissa étonné. Car à une distance de quinze pas, il ficha six flèches dans
l’œil de la cible. Je fus moins heureux avec ma petite arbalète car, si à une
distance de trente pas je mis dans la cible les trois traits que j’avais
apportés avec moi, il s’en fallut de beaucoup qu’ils fussent aussi bien groupés
au centre. Je ne poursuivis pas, car je voyais bien que mon compagnon brûlait
du désir de tirer à son tour avec mon arme. À ma grande surprise, il refusa
avec la dernière énergie que je l’aidasse à tourner la manivelle grâce à
laquelle le cric bandait la corde de l’arbalète. Les dents serrées, il s’y prit
à deux fois, le sang lui montant au visage de l’effort qu’il faisait pour en
venir à bout.
    Il tira à la même distance que moi, ayant très vite compris
qu’une fois la corde bandée par la mécanique, on n’avait plus à se donner
peine, mais seulement à presser la détente comme on fait pour une arme à feu,
avec cet avantage toutefois que vous n’aviez pas à épauler puisque l’arme ne
comportait pas de recul, mais à coller la joue contre l’arbrier pour prendre votre
visée.
    Dès son premier tir, son résultat fut meilleur que le mien,
en raison, probablement, de sa grande pratique de l’arc, mais peut-être aussi
parce que la petite arbalète était mieux adaptée à sa taille qu’à la mienne.
Nous tirâmes à tour de rôle un assez long moment pendant lequel, à aucun
moment, son enthousiasme et son application ne faiblirent. Il fit de grands
progrès. J’en fis d’assez petits. Et je commençais même à me demander si
l’achat que j’avais fait de cette petite arme était bien pertinent.
    Tandis que nous étions ainsi occupés, le garçonnet oublia
quelque peu qu’il était mon capitaine et me témoigna une sorte d’affection,
tout en continuant de marquer entre nous une certaine distance, comme s’il ne
renonçait pas tout à fait à me commander. Quant à moi, entouré d’adultes comme
je l’avais toujours été, ne fréquentant aucune école, n’ayant que peu de
rapports avec mes frères et sœurs – d’ailleurs beaucoup plus âgés que
moi –, je

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