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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’effort
qu’elle avait fait.
    — Madame, dis-je gravement, à partir de ce jour, je
dirai partout à la cour que deux fois devant moi vous avez prononcé le mot
« cul » et que je l’ai moi-même répété, sans vous offenser le moins
du monde.
    — Il n’était peut-être pas utile que vous le répétiez,
dit-elle vivement. Et pour en revenir à votre chapitre, cette scène dans la
chambre des commodités avec le Roi était-elle nécessaire [14]  ?
    — Oui, Madame, elle peignait le Roi.
    — Mais cette peinture n’est pas très raffinée.
    — Le Roi n’était pas lui-même très raffiné. C’était un
soldat. Pendant trente ans il avait été cousu, comme dit mon père, « comme
tortue dans sa cuirasse », il se lavait peu, il sentait fort, il parlait
cru et quand il n’était pas bridé par la présence des dames, ses manières
sentaient le corps de garde. Ce qui n’enlevait rien à ses grands talents, ni à
ses qualités de cœur dont la clémence à l’égard de ses ennemis était assurément
la plus belle.
    — N’empêche, mon ami, vous devriez supprimer cette scène.
À mon sentiment, elle blesse l’honnêteté.
    — J’y vais rêver. Madame, dis-je en m’inclinant, mais
tout à fait résolu, en mon for, à n’en rien faire.
     
    *
    * *
     
    Ma bonne marraine ayant tiré sa flèche du Parthe contre son
gendre, le Prince de Conti, coupable d’être arrivé à l’heure à son bal, courut
l’accueillir dans la grand’salle aussi vite que le lui permettaient ses pieds
martyrisés, entraînant dans son sillage Noémie de Sobole qui la suivit de son
propre chef, sachant qu’elle lui était indispensable, puisqu’elle portait son
éventail et son flacon de sels. Mais Madame de Guise ne me commandant pas de la
suivre, je restai planté là, assez embarrassé de ma personne et très dévisagé
par les quatre chambrières qui faisaient mine, et mine seulement, de ranger les
affaires éparses de leur maîtresse pour justifier leur présence. Elles y
mettaient une lenteur pénélopienne, chacune défaisant ce que l’autre avait
fait, avec des rires étouffés, des regards en dessous et d’infinis
chuchotements.
    Ce manège dura bien cinq minutes et fut à la fin interrompu
par l’apparition circonspecte des trois filles d’honneur que Madame de Guise
avait oubliées (elles aussi !) dans le petit cabinet et qui, n’entendant
plus résonner sa voix impérieuse, se hasardaient dans la chambre. N’y trouvant
que moi, et n’ayant pas de raison de me craindre, elles entrèrent tout à fait,
me firent une belle révérence et s’assirent chacune sur une chaire à
vertugadin. Je les saluai à mon tour et, bien aise de faire comme elles, je
pris place sur un tabouret. Les chambrières reprirent leur fallacieux
rangement, sans plus rire ni chuchoter, mais le regard en éveil et l’oreille
aux aguets, se régalant à l’avance du dialogue qui allait s’engager entre les
filles d’honneur et moi. Je les déçus, car me ressouvenant des rires dont les
moqueuses avaient accueilli ma question sur l’absurde étroitesse du corps de
cotte et du vertugadin, je ne pipai pas mot et considérai le plafond. Les
garcelettes m’imitèrent mais à ce que je constatai par de brefs regards, elles
jouèrent les dédaigneuses beaucoup mieux que moi, car mes yeux, dans leurs
furtifs coups de sonde, ne rencontrèrent jamais les leurs, alors que je suis
bien assuré qu’ils parvenaient à m’épier sans du tout m’envisager.
    Je ne sais combien de temps nous restâmes ainsi, face à
face, plus graves que juges siégeant en Parlement, moi, les yeux au ciel, et
elles si muettes, si aveugles – et si affriolantes dans leurs robes
pastel.
    — Chevalier ! dit Noémie de Sobole, en pénétrant à
la volée dans la chambre en un grand froissement et tournoiement de son
cotillon, que faites-vous céans quand Son Altesse vous attend dans la
grand’salle pour vous présenter à ses fils ? Et vous, Mesdemoiselles,
qu’avez-vous à faire à monter la garde dans une chambre vide ? Boudez-vous
le bal ? Seriez-vous les seules à n’y pas chercher un mari ?
    Quoi disant, elle me saisit par la main et le bras tendu car
son vertugadin était fort large et occupait plus de la moitié du couloir, elle
me conduisit jusqu’au seuil de la grand’salle et là, me lâchant, elle me fit
passer devant elle et, de la main, me donna dans le dos une forte poussée. De
ce fait, j’entrai moins dignement que je

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