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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Comme il faut que vous aimiez les femmes pour leur mentir si
bien ! Or çà, lisez-moi votre chapitre ! Nous n’en finirions jamais,
moi avec mes jérémiades et vous avec vos contes bleus.
    — C’est que je n’y vois guère. Madame, peux-je avoir un
deuxième chandelier ?
    Elle tira la sonnette, Corydon apparut. C’était bien par
amour pour Virgile et Ronsard qu’elle l’avait surnommé ainsi, car il apparaissait
à tout un chacun comme le majordome le plus laid de la création, ayant, au lieu
d’une face humaine, une sorte de hure de sanglier percée de petits yeux
porcins. Qui pis est, il ne parlait pas, il grognait, soufflant l’air par ses
naseaux.
    — M’amie, dis-je, dès que Corydon et le laquais qui
apporta le deuxième chandelier se furent retirés, pourquoi avoir choisi ce
monstre comme majordome ?
    — Ne devinez-vous pas ? dit-elle, l’air mutin.
Pour peu qu’on l’ait regardé en entrant, on ne me trouve que plus belle
ensuite…
    De quel joli rire elle accompagna ces paroles – si
musical, si bien filé ! À quel rare degré de perfection avait-elle porté
tous les arts féminins de la séduction et cela, pour ne séduire personne !
    Je commençai alors à lire mon chapitre et me ressouvenant
que mon hôtesse voulait être divertie, je ne fis pas que le lire. Je le mimai.
J’en fus tous les acteurs successivement : talent que je tenais de mon
père, mais par où je le surpassais. Car il lui restait encore quelque raideur huguenote.
Il ne faisait qu’indiquer le rôle. Pour moi, je le jouais.
    Dès que j’eus fini, la Marquise me combla de tous les
compliments que lui inspiraient les gentillesses et les délicatesses de son
naturel. Toutefois, pressée par moi de me dire tout son sentiment, car je lui
savais le goût le plus fin et l’esprit le plus délié, elle fit une remarque sur
la conduite de ce chapitre qui m’étonna.
    — Mon ami, me dit-elle, vous avez fait le pari de
raconter ce bal comme vous l’avez vu et vécu à quinze ans, observant avec des
yeux neufs cette cour royale où vous veniez d’entrer.
    — Eh bien, dis-je un peu alarmé, c’était, en effet, mon
pari. L’ai-je perdu ?
    — Vous l’avez gagné et vous devriez le regretter.
    — M’amie, vous parlez par énigmes. Comment pourrais-je regretter
d’avoir fait ce que j’ai voulu faire ?
    — Je vais éclairer votre lanterne. Vous parlez, dans ce
récit, d’un certain nombre de dames et de seigneurs dont vous avez su, dans les
vingt ans qui suivirent, beaucoup de choses, heureuses ou malheureuses. Ne
croyez-vous pas que votre lecteur serait heureux d’apprendre ce qu’il advint de
ces gens-là dans la suite ?
    — Le lecteur l’apprendra dans la suite de mes Mémoires.
    — Cela est vrai pour les principaux d’entre eux. Mais
non pour ces personnages qui sont dans notre temps sans appartenir à
l’Histoire. Les déprisez-vous, alors qu’ils sont souvent si charmants ?
    — Point du tout. Mais comment, si je suis fidèle à mon
pari, pourrais-je sortir de l’année 1607 et de mes quinze ans, pour parler
prophétiquement de leur avenir ?
    — Ah ! Monsieur ! Trouvez un moyen, de
grâce ! C’est vous qui avez fait cette étrange gageure d’être la mémoire
de votre époque. Ce n’est pas moi. Moi, je ne demande qu’à être placée hors du
temps, sur un petit nuage pour y attendre l’éternité sans avoir à vieillir ni à
mourir.
    Et comme je me taisais, savourant ce souhait et le jetant
dans la gibecière des chers souvenirs que j’avais déjà d’elle, elle
reprit :
    — Tenez ! Cette petite Baronne de Saint-Luc, si
jeune et si touchante, sur les beaux yeux de qui vous vous extasiez à quinze
ans, savez-vous ce qu’il advint d’elle deux ans plus tard ?
    — Mais naturellement je le sais.
    — Alors, dites-le à votre lecteur. Il vous en saura
gré.
    Ayant dit, elle se tut, le visage songeur.
    — Je vous vois hésiter, Madame. Vous vouliez ajouter
quelque chose ?
    — Je n’ose. Vous savez que je passe pour prude à la
cour et qu’on rit de moi, parce que je n’aime pas qu’on prononce des mots de
trois lettres en ma présence.
    — Ces rieurs, Madame, sont de très sottes gens.
    — Et ils mentent, au surplus ! dit-elle avec une
certaine vigueur. Je vous assure, mon ami, que s’il fallait à tout prix que je
prononce le mot « cul », je prononcerais le mot « cul »…
    Elle n’en rougit pas moins et de honte et de

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