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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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beauté et ma jeunesse.
    « Car, pour vous le confesser enfin, mon ami, je suis
plus engluée que mouche dans la toile de la tristesse et me trouve incapable de
lire, fût-ce même mon Virgile adoré. Je m’ennuie à périr. Pis même : je
vieillis de minute en minute. Et à la vérité, mon petit corps est étrangement
las de ce pauvre monde.
    « Je vous recevrai à trois heures de l’après-midi en ma
chambre bleue.
    Catherine. »
     
    Ce petit mot me fit grand plaisir. Estimant fort le
discernement de Madame de R., je me sentais heureux de soumettre ce que je
venais d’écrire à la finesse de son jugement. En même temps, son billet m’égaya
car ayant rencontré Madame de R. pour la première fois à ce bal de Madame de
Guise, il y avait près de vingt ans de cela, je ne l’avais jamais vue que
« dolente et languissante », ce qui, à mon sentiment, était plutôt
une façon de vivre qu’une invalidité, puisque trois ou quatre fois l’an, dès
qu’il y avait un bal où elle désirait apparaître, elle ressuscitait de sa
« langueur » pour y courir danser jusqu’à l’aube.
    Quant à redouter la durée de mes baisemains, la brûlure de
mes regards et une interprétation abusive du « bec à bec », c’était
là jeu d’archicoquette qui se plaisait aux escarmouches, mais fuyait la
bataille, se remparant, dès que l’attaque se faisait plus précise, derrière les
bastions de sa vertu.
    Je me suis souvent demandé, d’ailleurs, à son sujet, comme
au sujet de certains prêtres, si « vertu » était bien le mot qui
convenait. Car si Madame de R. était raffolée de la compagnie des hommes et de
leurs attentions, elle abhorrait, en fait, les réalités de l’amour qu’elle
trouvait « fort tristes et fort laides », se peut parce qu’elle avait
été mariée à l’âge de douze ans à un mari qui connaissait mieux les chevaux et les
chiens que la délicatesse des filles.
    Elle me reçut, comme à l’accoutumée, à demi étendue dans son
lit sur un nid de coussins, vêtue d’une robe de chambre de satin, laquelle
était agrémentée au col par un flot de dentelles d’or. Bien qu’il fît grand
jour, les lourds rideaux de damas étaient clos devant les fenêtres. Je baisai
dévotement la main languissante qu’elle me tendit et après l’avoir couverte,
comme elle me l’avait interdit dans sa lettre, de mes regards brûlants, je lui
fis de grands compliments sur la « langueur » dont elle souffrait et
dont le seul effet était de la rendre plus belle ; sur l’édifice savant
d’une coiffure qui lui seyait à ravir ; sur l’eau de senteur enivrante
dont elle se vaporisait ; sur les dentelles dont le nuage doré entourait
son visage et dont le flou faisait valoir la grâce de ses traits. Et comme un
de ses pieds nus dépassait à moitié du bas de sa robe de chambre, je ne
craignis pas d’en faire aussi l’éloge, louant sa petitesse et et son élégance.
    — Ah ! mon ami ! dit-elle en retirant
incontinent hors de vue l’objet de mon admiration et montrant une confusion
dont je crois bien qu’elle n’était pas jouée, vous dépassez les bornes !
De reste, je ne crois pas un traître mot de ces compliments outrés.
Asseyez-vous là, sur cette chaire. Vous pourrez lire votre chapitre, éclairé
par le chandelier posé sur la table d’ébène. Comme vous savez, quand je suis en
mes humeurs noires, je ne peux supporter le jour. Il me blesse.
    Je la regardai en silence. Le jour la blessait-il vraiment
ou son visage préférait-il à la vérité du soleil la charité plus douce des
chandelles ?
    — Mon ami, poursuivit-elle d’une voix plaintive, comme
je m’ennuyais avant votre venue ! Et maintenant, Dieu merci, vous êtes là
et tant joliment vous me mentez que je me sens mieux déjà. Voyons, lisez-moi ce
que vous avez écrit sur ce bal ! Quand m’avez-vous dit qu’il eut
lieu ?
    — Le 16 août 1607.
    — 1607 ! Mon Dieu ! J’avais dix-neuf
ans ! Vous voyez que je vous parle à la franche marguerite : je vous
dis mon âge. Et de reste, chattemite que je suis, je ne vous le dis que parce
que vous le savez, vous ayant confié, à ce bal, que j’étais votre aînée de
quatre ans. J’en étais, je crois, toute fiérote, sotte caillette que j’étais.
Ah ! Le temps ! Le temps ! Comme il passe, le misérable !
    — Ne l’insultez pas, Madame, il est passé sur vous sans
vous toucher.
    — Fi donc ! Quel effréné menteur vous
faites !

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