La Volte Des Vertugadins
que je
crois, vous présente à elle, voici ce que veut l’étiquette : vous lui
faites une première révérence à trois ou quatre pas puis, vous approchant
d’elle, vous mettez un genou à terre, vous prenez le bas de sa robe et vous le
portez à vos lèvres. Sa Majesté, alors, vous relève en vous donnant sa main à
baiser et elle dit : « Vous soyez le bienvenu ! »
— Pourquoi le « vous » ? dis-je. Ce
« vous » est de trop. « Soyez le bienvenu » suffirait.
— Mon filleul, dit-elle en grinçant des dents, dites-le
à la Reine et soyez bien assuré que votre fortune est faite ! N’était que
je suis déjà pimplochée et que je craindrais de gâter mon fard, je me mettrais
contre vous dans une épouvantable colère ! Mais à la vérité, j’enrage,
sans compter que ma basquine m’étouffe et que ces chaussures me serrent. Du
diable si je sais pourquoi je les ai commandées si petites ! Et pourquoi,
puisqu’on ne les voit même pas sous mon vertugadin ? Mon filleul, qu’ai-je
ouï ? On vous présente à la reine de France et vous corrigez sa
grammaire ! Mais c’est à mourir ! Où prenez-vous cela ?
Avez-vous perdu le sens à force de picorer dans vos livres ? Votre père et
vous, vous me rendrez folle avec vos arguties ! (Ici les chambrières, derrière
son dos, échangèrent des sourires.) Or çà, mon filleul, ne cherchez donc pas
midi à l’ombre ! Je vais bander et régler votre horloge. La Reine
dit : « Vous soyez le bienvenu », parce qu’elle parle mal le
français. Est-ce que cette raison vous suffit, Monsieur le raisonneur ?
Elle le parle mal et elle le prononce mal. En fait, ce que vous allez ouïr,
c’est ceci : « Vous soïez le biennevenou ! »
(Noémie de Sobole pouffa derrière sa main.) Après quoi, dès que vous aurez
baisé ses doigts boudinés, chargés de plus de diamants que vous n’en verrez
jamais, elle sera avec vous particulièrement altière, revêche et rebéquée.
— Avec moi ! Mais que lui ai-je fait ?
— Le Roi vous aime. Cela suffit.
Un coup discret à la porte interrompit ce véhément discours.
— Qu’est-ce encore ? dit la Duchesse, exaspérée.
Entrez ! Entrez ! Sobole, évente-moi ! Je vais pâmer, je pense.
— Madame, chuchota Monsieur de Réchignevoisin en
montrant sa suave face, Madame votre fille et Son Altesse le Prince de Conti
viennent d’arriver.
— C’est le comble ! s’écria Madame de Guise en
levant au ciel ses bras courts, ce bal sera un désastre ! Je le
sens ! Je l’avais prédit : mon gendre serait là à l’heure ! Et
il l’est ! Le premier arrivé ! Lui, un prince du sang ! Il ne
lui suffit pas d’être sourd, bègue et stupide : en plus, il est
exact !
CHAPITRE IV
Ce jour d’hui, jour de mon trente-quatrième anniversaire, je
mis la dernière main à ces chapitres de mes Mémoires où je décris le bal de la
Duchesse de Guise. Les ayant purgés de quelques ingrates tournures que j’y
trouvai à la relecture, je dépêchai un petit vas-y-dire à Madame de R. pour lui
mander que je serais ravi de les lui lire, comme je m’y étais engagé de longue
date. Toutefois, je désirais qu’elle fût assez bonne pour me recevoir au bec à
bec et non en présence du brillant aréopage de ses fidèles, pour la raison que
ces chapitres contenaient nombre de remarques dont certaines personnes vivantes
se pourraient trouver offensées.
Par le truchement du même vas-y-dire, Madame de R. m’envoya
incontinent, tracé de sa jolie écriture, le billet que voici :
« Mon ami,
« Je suis si dolente et languissante que j’ai ce jour
d’hui commandé à mon Corydon de “bien fermer l’huis sur moi”, n’étant chez moi
pour personne, pas même pour un prince du sang. Mais je suis trop affectionnée
à vous et trop avide d’ouïr votre récit pour vous remettre à demain, si
exorbitante et si menaçante pour ma sécurité que me paraisse votre prétention
d’être reçu par moi en tête à tête.
« Néanmoins, j’y consens, non sans quelques conditions.
« La première, de ne me baiser la main qu’à l’entrant
et au départir et les deux fois, point aussi gloutonnement que si vous vouliez
l’avaler. La deuxième, de ne point m’assassiner ouvertement, ou en tapinois, de
vos regards brûlants. La troisième, de poursuivre ce bec à bec de bout en bout
à une distance d’une toise au moins. La quatrième, de me bien garnir en
compliments sur ma
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