La Volte Des Vertugadins
tant de poids à son
propos, il dit :
— À votre sentiment, que serait-il arrivé si moi,
devenu le chef de la maison de Lorraine après la mort de mes frères, je n’avais
pas fait alors ma soumission à Henri ?
Je jetai un coup d’œil à Madame de Guise, un autre à
Sommerive et un autre encore aux quatre princes lorrains qui écoutaient,
béants, cet entretien. Comme j’hésitais, Mayenne me dit d’un ton ferme, mais
sans élever la voix :
— Dites sans crainte votre sentiment.
Je regardai de nouveau ma marraine, puis les princes
lorrains et je dis :
— La maison de Lorraine aurait beaucoup pâti.
— Avez-vous ouï cela, Sommerive ? dit Mayenne.
— Oui, Monsieur mon père.
— Qu’en pensez-vous ?
— Que c’est le bon sens même.
— Et qu’en pensent mes beaux neveux ? dit Mayenne
en relevant les paupières et en jetant un regard perçant à Charles de Lorraine
dont il pensait qu’étant l’aîné des princes lorrains, et le duc régnant, il
devait répondre en son nom et en celui de ses frères.
— J’opine comme Sommerive, dit le Duc, non sans quelque
sécheresse dans la voix. Et d’autant que j’ai suivi votre exemple, mon oncle,
et ai fait moi aussi ma soumission à Henri.
— Charles, dit Mayenne avec une ironie voilée, je suis
heureux de votre accord. Il m’a paru parfois qu’il y avait comme un doute
là-dessus dans la maison de Lorraine et que d’aucuns, dans leur infinie
légèreté, songeaient à réveiller de vieilles querelles.
— Mon oncle, dit Charles avec gêne, je n’ai pas ouï
parler de cela.
— Derechef, j’en suis heureux. Rappelez-vous que je ne
veux plus de riote entre la maison de Guise et la maison de Bourbon. Sommerive,
poursuivit-il, est-ce que le Chevalier de Siorac vous plaît ?
— Beaucoup. Bassompierre qui le prise fort m’en avait
déjà parlé et je tiens que sous le rapport du savoir, comme de l’apparence, ce
coquelet fera un fameux coq, si Dieu lui prête vie.
— Alors, prenez ce coquelet sous votre aile et, avant
que son parrain le Roi n’arrive, parrainez-le auprès d’un chacun, afin que
personne ne s’avise, ici, de lui donner du bec dans la plume.
— Avec joie, Monsieur mon père, dit Sommerive.
Et venant à moi le visage riant, Sommerive me prit dans ses
bras, me donna une forte brassée et me baisa sur les deux joues.
— Votre poing, mon filleul, dit Madame de Guise.
Dès que j’eus obéi, elle posa dessus la main droite et
m’imprimant la direction qu’elle voulait, elle me tira à l’écart et me dit à
voix basse :
— Dieu merci, vous avez plu au Duc.
— Lui ai-je plu vraiment ?
— Vous n’avez pas fait que lui plaire. C’est un habile
homme, il favorise quiconque a la faveur du Roi. Toutefois, je m’en réjouis
fort. Mes fils n’oseront pas piper.
— Auraient-ils pipé sans cela ?
— Ce sont des écervelés. On ne sait jamais ce qu’ils
vont dire ou faire. En outre, vous pouvez bien imaginer qu’ils ne sont pas fort
contents de voir surgir parmi eux ce demi-frère, reconnu tout soudain par moi
et promu par le Roi.
— Madame, dis-je, je pense qu’en me reconnaissant ce
soir comme vous le faites, vous montrez un grand courage.
— C’est que je vous aime, dit-elle en serrant avec
force mon poing. Je vous aime plus qu’aucun autre de mes fils. Puisse le ciel
me pardonner cette parole impie !
Je ne pus répondre à cela, les larmes me montant aux yeux.
— Et pouvez-vous me dire, reprit-elle d’un ton badin,
pourquoi vous m’avez si laidement boudée dans mon petit cabinet ?
— J’enrageais ! Vous n’en aviez que pour vos
frisettes ! Vous ne me regardiez pas !
— Béjaune que vous êtes ! Vous avez encore
beaucoup à apprendre sur les femmes ! Sachez que je regardais quand et
quand votre reflet dans mes deux miroirs et que je m’égayais fort de votre
maussaderie.
— Vous vous en égayiez !
— Et je m’en inquiétais aussi. Vous devriez cuirasser
votre trop tendre cœur, mon Pierre. Sans cela, plus d’une s’y fera les griffes.
Mais assez clabaudé ! Or sus ! Venez affronter mes petits
monstres !
Se peut parce que Mayenne leur avait donné le
« la », se peut parce que me voyant une langue si bien émoulue, ils
craignirent de ne pas avoir le dessus avec moi dans une picoterie, les
« monstres » ne furent pas tant picaniers avec moi que leur mère
avait craint. Charles, « le petit duc sans nez » comme on
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