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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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innocence). Toutefois, il est jeune encore. Il ne sait pas
que son devoir est de dire à une femme qu’elle est belle, le mot
« joli » étant tenu par nous toutes comme très au-dessous de nos
mérites. Chevalier, dit-elle en se tournant vers moi, voyez-vous cette
garcelette rousse qui court après Madame de Guise pour l’éventer ? La
trouvez-vous belle ?
    — Non, Madame.
    — Ment-il ou est-il sincère ? demanda-t-elle en se
tournant vers mon père. Ce serait vraiment navrant s’il mentait déjà à son âge.
Je l’ai vu avec cette petite personne en conversation animée.
    — Madame, dis-je, je dirais, avec votre permission, que
je la trouve fort attrayante. Raison pourquoi je lui ai retenu une danse. Me
conseillez-vous, en dansant, de lui dire qu’elle est belle ?
    — Ah ! Marquise ! dit mon père en riant, vous
voilà prise sans vert ! Vous lui conseillez de mentir aux dames. Après
quoi, vous le lui reprochez !
    — Il n’y a point contradiction ! dit vivement la
petite marquise avec un sourire ravissant. Je voudrais que tous les hommes du
monde n’aient qu’un seul cœur et qu’il ne batte que pour moi.
    — Voici déjà le mien, dit mon père, et celui de mon
fils. N’avez-vous pas observé comment Pierre-Emmanuel vous dévore des
yeux ?
    — Mais il a l’œil naturellement affamé. Je l’ai vu
darder ses regards sur tout un chacun, homme et femme. Et à ce que j’ai ouï de
Bassompierre, il a soif aussi de savoir et lit Virgile dans le texte. Mon Dieu,
que je l’envie !
    — Virgile ou non, dit mon père, nos deux cœurs sont à
vous. Vous nous devez, en échange, un gage. À lui ou à moi. Choisissez.
    — Je donne mon amitié à l’un et l’autre.
    — C’est prou, mais c’est peu aussi.
    — Comment, c’est peu ! Marquis, vous n’ignorez pas
que je suis fidèle à mon mari. La Dieu merci, le pauvre Charles peut dormir sur
ses deux grandes oreilles. De reste, quand on parle du loup… Je le vois qui me
cherche. Je vous quitte.
    — Serait-il jaloux ?
    — Il n’a pas de raison de l’être. Mais il y a trois
choses que le Marquis est follement glorieux de posséder : ses chiens, ses
chevaux et moi.
    — Ce n’est pas pour ses chiens et ses chevaux que Charles
fait construire ce coûteux hôtel rue Saint-Thomas-du-Louvre.
    — Coûteux ? Ne l’aimez-vous donc pas ?
    — Je suis de la vieille école. Je ne goûte pas les
appareillages de brique et de pierre dont on est, ce jour d’hui, coiffé.
    — Mais l’intérieur est fort beau. J’en ai fait moi-même
les plans. Me viendrez-vous voir ? reprit-elle d’un ton câlin. On dit que
vous vivez en ours avec votre ourson. Êtes-vous tant repoussé par ma
vertu ?
    —  Gratior et pulchro veniens in corpore virtus, dis-je
en rougissant.
    — Ah ! Chevalier ! traduisez-moi cela !
dit-elle avec une avidité charmante.
    — « La vertu n’est que plus agréable quand elle
vient à vous dans une belle enveloppe. » C’est du Virgile, Madame, pour
vous servir.
    — N’est-il pas adorable ? dit-elle. Et il dit cela
en rougissant ! Marquis, dit-elle en se tournant vers mon père et en lui
saisissant les deux mains, venez me voir, de grâce, et venez avec votre fils.
Adieu. Charles m’a vue. Il fonce droit sur moi.
    Et elle nous quitta dans un grand tournoiement de son vertugadin.
    — C’est une Circé, dit mon père, mais au lieu de vous
transformer en pourceau, elle tâche de faire de vous un ange. Mon fils, comment
se fait-il que vous ayez traduit «  in pulchro corpore » par
« dans une belle enveloppe » ?
    — J’ai pensé que « dans un beau corps » la
pourrait offenser. On la dit fort prude.
    — Elle l’est, dit-il en riant. Charles serait trop
heureux s’il connaissait son bonheur.
    — Comment est-il ?
    — Grand, avec un grand nez et de grandes oreilles. Il
chasse tout le jour et il ronfle toute la nuit. Son père fut, en son temps, un
diplomate des plus estimés. Quant à la Marquise, elle est fort bien née. Elle
descend des Princes Savelli.
    — Elle a beaucoup d’esprit.
    — Elle en a plus qu’aucune autre femme au Louvre. C’est
pourquoi elle s’ennuie à mourir à la cour et ne se plait que chez elle dans son
petit cercle d’amis.
    Là-dessus, il me tira dans une encoignure de fenêtre et me
demanda le récit de ce que j’avais vu et vécu depuis mon arrivée à l’Hôtel de
Grenelle. Ce que je fis, mais très à la discrétion, ayant observé

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