La Volte Des Vertugadins
les Hébreux. Et Henri s’avança, si je puis
dire, à pied sec, dames et seigneurs se génuflexant sur son passage et le flot
se refermant derrière lui en engloutissant sa suite, toutefois sans autre
dommage pour elle que des embrassades à l’infini. Je vis fort bien le Roi, car
m’étant poussé sans vergogne au premier rang (bien m’en prit d’être grand et
fort), Sa Majesté s’arrêta à ma hauteur au moment où Madame de Guise
l’accueillait et se mettait à ses genoux. Il l’en releva aussitôt et la baisa à
la franquette sur les deux joues, étant à elle toujours si attentionné, tant
parce qu’elle était sa cousine et comme lui gaie et primesautière, que par
souci politique car, étant née Bourbon, et mariée à un Guise, elle lui paraissait
jeter un pont entre les deux maisons.
Il me parut de taille moyenne, tirant plutôt vers le petit,
maigre, mais musculeux, la tête vigoureuse, barbue, tannée et quasi paysanne,
la lèvre gourmande et gaussante, le nez long et courbe. Mais ce qui me frappa
surtout en cette première rencontre, ce furent ses yeux, lesquels étaient
grands, pleins d’esprit et fort mobiles car, tandis qu’il parlait à Madame de
Guise, lui souhaitant un heureux anniversaire et la complimentant, il les
tournait sans cesse autour de lui comme s’il jaugeait et jugeait ceux qui se
trouvaient là. Au contraire du Comte de Soissons, on ne pouvait discerner le
moindre soupçon de hauteur dans son visage (lequel était empreint d’une
bienveillance joviale) ni dans son attitude qui, en sa simplicité, tenait
davantage du soldat que du monarque. Toutefois, son naturel même avait quelque
chose de grand comme s’il sentait, en son for, trop de puissance pour avoir à
la mimer.
Je m’aperçois, en écrivant ces lignes, combien il m’est
difficile de décrire en sa vérité ingénue mon premier contact avec Henri :
j’étais encore un enfantelet que Greta me racontait déjà comment, me tenant sur
les fonts baptismaux, il avait failli me laisser choir. Et depuis, il ne
s’était pas passé de jour sans que mon père, ou ma marraine, ou La Surie
n’aient commenté devant moi ses combats, ses exploits, ses desseins, ses bons
mots, voire aussi ses faiblesses, à telle enseigne que son nom et sa personne
faisaient, pour ainsi dire, partie de ma famille.
Avant que Madame de Guise n’arrêtât Henri dans sa marche en
allant à sa rencontre, mes yeux avides étaient à ce point collés à Sa Majesté
qu’une jeune et jolie dame que je coudoyais dut, en souriant, me tirer par la
manche pour me faire ressouvenir de me génuflexer. Si bien que, lorsque le Roi
eut gagné l’estrade, et se fut assis sur la sorte de trône préparé pour lui
(celui destiné à sa femme restant vacant, ce qui ne laissa pas de m’intriguer),
je me tournai vers ma voisine, la remerciai du soin aimable qu’elle avait pris
en me rappelant mes devoirs et, en même temps, m’excusai d’avoir quelque peu
bousculé son vertugadin en me poussant au premier rang.
— L’impétuosité, dit-elle, est pardonnable chez
quelqu’un d’aussi jeune que vous.
— Jeune, Madame ? dis-je, piqué. Je marche sur mes
quinze ans. Et à considérer votre joli visage, plus lisse qu’un pétale de rose,
vous êtes fille, et vos années ne doivent guère excéder les miennes.
— Tant s’en faut, Monsieur ! se récria-t-elle,
j’ai dix-neuf ans et suis mariée depuis sept ans.
— Comment, Monsieur mon fils, vous connaissez la
Marquise ? dit mon père.
Je rougis de le voir surgir tout soudain à mon côté, fort
élégant dans son pourpoint vert amande, et le collier de Chevalier du
Saint-Esprit brillant à son cou de tous ses feux.
— Mais non, dit-elle, il ne me connaît pas. C’est moi
qui le connais. Bassompierre me l’a montré de loin. Et nous sommes maintenant
de vieux amis : il a bousculé mon vertugadin et je l’ai tiré par la
manche.
— Vous a-t-il dit combien vous êtes belle ? dit
mon père en lui baisant la main.
— Non ! non ! dit-elle en riant. Il a été
plus chiche-face que vous : je n’ai eu droit qu’au « jolie ».
— Oh ! Madame ! dis-je, quelle
trahison ! J’ai dit que votre visage était plus lisse qu’un pétale de
rose.
— C’est vrai, dit-elle. Votre fils, Marquis,
ronsardise. Et il joue fort bien du plat de la langue. Il tient de vous en ce
domaine et se peut, aussi, de sa bonne marraine, reprit-elle (parlant, à ce que
je crois, en toute
Weitere Kostenlose Bücher