La Volte Des Vertugadins
héritières du
royaume, avec promesses, au surplus, de le faire, à sa majorité, gouverneur de
Bretagne. Je ne fais, hélas, que rappeler des faits qui sont trop tristement
connus ! Mais passons, passons ! Il y a pis ! Bien pis ! Et
qu’on en soit arrivé à une telle extrémité, à un tel bouleversement de tous les
us de la monarchie, en un royaume qu’on croyait bien policé, voilà qui me met hors
mes gonds ! Monsieur mon bien-aimé frère, dit-il en se tournant vers le
Prince de Conti en mimant par gestes ce qu’il lui demandait, portez, de grâce,
votre cornet à votre oreille et oyez-moi bien. La chose est de la dernière
importance ! Vous la devez connaître : la voici ! Ce petit
César, qui a aujourd’hui douze ans et qu’on va marier d’ici deux ans à la
petite Mercœur, a demandé au Roi et il a obtenu – vous m’oyez, dit-il en
scandant le mot avec rage –, il a obtenu que sa future femme portât à son
mariage une robe semée de fleurs de lys, comme les princesses du sang !…
Le Comte de Soissons, les deux poings sur les hanches, fixa
des yeux étincelants sur son aîné et ses cousins, puis, se tournant vers les
gentilshommes de sa suite, il leur fit l’honneur de les prendre à témoin de ce
scandale.
— Messieurs, avez-vous ouï cette énormité ? La
décision est prise ! Vous savez bien par qui ! L’épouse du Duc de
Vendôme portera, à son mariage, une robe semée de fleurs de lys comme la
Duchesse de Montpensier ! Comme la Princesse de Conti ! Comme la
Comtesse de Soissons !
Je regardai le Comte. Je n’avais pas assez de mes yeux pour
le voir. J’en demeurai béant. Cette grande fureur accouchait d’un souriceau.
Une robe ! Une robe semée, ou non, de fleurs de lys ! Laquelle
n’était même pas faite ! Ni même commandée, l’hymen avec la petite Mercœur
ne se devant célébrer que dans deux ans ! Se mettre tant martel en tête
pour un petit vertugadin ! En faire une offense capitale ! Une
atteinte à l’honneur ! Une affaire d’État ! Oui ne se pouvait résoudre
que par des moyens extrêmes : la rupture avec le Roi, l’exil volontaire en
un château lointain, une interminable bouderie…
Toutefois, je ne laissai pas d’apercevoir que les
gentilshommes et les dames qui avaient écouté la diatribe du Comte (et tous n’étaient
pas de sa suite) ne lui donnaient pas tort sur le fond, même s’ils trouvaient
insensée la décision du Comte de secouer la poussière de ses chaussures sur le
Louvre. Pour eux, comme mon père me l’avait dit cent fois, et comme Joinville
venait de le répéter à l’instant devant moi avec passion, quitter le Louvre,
c’était mourir ! Mais justement parce qu’ils étaient si attachés aux
privilèges du rang, le réquisitoire du Comte ne les laissait pas insensibles.
Je les avais vus, en l’écoutant, faire la moue, hausser le sourcil, se regarder
entre eux, secouer la tête. L’entorse à l’étiquette était flagrante. La femme
d’un bâtard, fût-il royal, ne pouvait prétendre parsemer sa robe de fleurs de
lys.
Si hautain que fût le Comte, l’approbation des courtisans, pour
muette qu’elle fût (personne ne se souciant de le suivre dans sa retraite),
parut le fortifier dans sa résolution, même s’il n’avait reçu de son frère et
de ses cousins que peu d’encouragement : Conti, parce qu’il n’avait rien
ouï, Montpensier, parce que cette grande colère l’avait fatigué, et Condé parce
qu’il détestait qu’on parlât femmes devant lui – lui qui les aimait si
peu.
Un grand bruit éclata qui fit mourir par degrés dans la
salle la rumeur des conversations. Les trompettes et les tambours des gardes
françaises qui, dans la cour, gardaient l’accès de l’Hôtel de Grenelle,
attaquèrent « le passage du Roi », un des airs que le Dauphin avait
si bien joués pour moi dans le jardin de Saint-Germain-en-Laye. Le silence dans
la salle se fit. Le Comte de Soissons, ostensiblement, la quitta, non par la
cour – où il n’eût pas manqué de rencontrer son cousin – mais par le
jardin. Et Monsieur de Réchignevoisin s’avança, sa canne de chambellan à la
main, et en ayant frappé un grand coup sur le parquet, il cria d’une voix
forte :
— Mesdames, Messieurs, le Roi !
*
* *
Dès que le Roi apparut, vêtu de satin blanc, la foule des
invités dans la grand’salle s’ouvrit des deux parts devant lui aussi docilement
que la mer Rouge pour laisser passer
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