L'abandon de la mésange
marde !… t’es la seule personne au monde que j’aime assez fort pour tomber devant
elle !
Élise remonta la pente, essoufflée.
– J’ai tout fait pour te détester,
Micheline…
– J’ai tout fait pour le mériter, Élise.
Les deux sœurs regardèrent Wilson, qui avait
rejoint les enfants et qui, avec Jacqueline, chacun tenant une fille dans ses
bras, nourrissait les mésanges qui venaient picorer dans les menottes.
– Wilson m’appelle son « beau
mésange ». Parce qu’il dit que je suis pas tout à fait un ange, mais que,
comme les beaux petits oiseaux qu’on voit là-bas, j’ai appris à m’abandonner.
– C’est pas possible comme il est beau,
ton chum !
Élise marcha en direction de Wilson, en
pensant à la douceur de leurs nuits agitées dans leurs âmes calmes ; à la
délicatesse de ses longs doigts quand il ne cherchait qu’à la faire
frissonner ; aux chants murmurés dont il lui emplissait les
oreilles ; à sa peau chaude, musquée et couleur de terre ; aux
promesses inutiles parce qu’elles disaient la vérité. Elle pensa à leur plaisir
de batifoler sur le flokati devant la cheminée avec les filles et Dany, qui se
servaient de Wilson comme d’un terrain de jeu ; à la famille Philippe, qui
l’avait adoptée et qui arrivait, le dimanche, les bras chargés de nourriture et
de surprises pour les enfants.
Micheline l’avait rejointe et Élise n’avait
pas vraiment senti son bras se glisser sous le sien, mais elle posa sa main sur
la sienne.
– Micheline, pas touche !
ÉPILOGUE 1992
La stèle de Clovis Lauzé, au cimetière de
Notre-Dame-des-Neiges, est la plus fleurie et la plus spectaculaire de toutes.
En hiver, elle est gardée par des bonshommes sculptés dans des blocs de glace,
qui tiennent toujours une lampe à huile de cheminot que personne n’a, à ce
jour, eu l’indécence de voler.
Élise et Wilson ne se sont plus jamais
quittés, surtout qu’ils ont eu deux autres enfants. D’abord une petite Delphine
au teint de miel comme Dany, mais aux yeux aussi bleus que ceux de sa
grand-mère Blanche et que ceux d’Élise, et aux cheveux blonds de blé, quoique
frisés comme ceux de sa grand-mère Whillelmine. Ensuite un deuxième fils,
qu’ils ont nommé Clovis, en souvenir de son grand-père, et Émile, un clin d’œil
à la grand-mère d’Élise, Émilie Bordeleau. Delphine est née le jour de la
victoire électorale du Parti québécois, le 15 novembre 1976, et Clovis-Émile,
en 1979, alors que sa mère, âgée de trente-neuf ans, croyait avoir fait ses
adieux aux langes.
Wilson pratique toujours la médecine
familiale, et leur première maison de L’Acadie est maintenant devenue sa
clinique, où il s’est adjoint un acupuncteur. On remarque encore Wilson à cause
de la blancheur de ses dents et de ses sarraus. On le connaît aussi pour sa bonté.
Dans un des bâtiments jouxtant l’écurie,
Wilson et Élise ont l’intention d’aménager une clinique vétérinaire qu’occupera
d’ici trois ans, si elle le désire, Violaine Vandersmissen, fraîchement
médaillée de bronze aux Olympiques, en sport équestre, concours complet
individuel. Son cheval, nommé Caleb, a été acheté dans un encan, et il est un
miracle génétique, ses parents n’étant, ni l’un ni l’autre, des champions, mais
d’ordinaires chevaux d’école. Violaine a un fiancé auquel elle a l’intention de
demeurer fiancée jusqu’à la fin de ses jours.
Élise a acheté à peu près toutes les terres
qu’elle a pu trouver et elle y a bâti des serres renommées pour la qualité de
leurs produits maraîchers, la variété et la beauté de leurs fleurs. Elle a été
nommée femme d’affaires de l’année 1991 par la Chambre de commerce du Québec.
Elle continue, chaque hiver, de nourrir les mésanges, qui s’abandonnent dans
ses mains pour y picorer.
Viviane a aménagé, sur une de leurs terres, un
petit aéroport qui accueille amateurs d’avions et de parachutisme. Elle est
entraîneur et compte plus de deux mille heures de vol, gracieuseté de sa
marraine. Elle espère travailler, dès qu’elle aura vingt-cinq ans, pour une
petite compagnie aérienne, piloter des bimoteurs turbopropulsés et sillonner le
ciel du Québec et du nord-est des États-Unis. Elle a un penchant pour tous les
beaux pilotes, qu’ils soient aux commandes ou sous son commandement, de
préférence en vol de nuit.
Dany est chef de train pour VIA Rail Canada et
déteste
Weitere Kostenlose Bücher