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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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allées des maisons. Octave avait déplié sa lorgnette.
Sur la butte Montmartre, entre les moulins, il vit des cavaliers avec des
chapeaux en tuyau et des lances interminables : les cosaques retournaient
les canons contre la capitale. Il en vit d’autres, une nuée, qui dévalaient des
collines vers les maisons en flammes de Belleville.
     
    Un silence effroyable succéda vers quatre heures de
l’après-midi au grondement des combats. On savait par les blessés que l’armée
de Silésie occupait les rives de l’Ourcq, que Marmont s’était frayé un chemin,
à la baïonnette, pour se replier sur la barrière de Belleville avec des
bataillons décimés. En nombre considérable, l’ennemi s’était emparé de
Ménilmontant, la Villette, Clichy. Dans Paris les volets des immeubles se
fermaient. La foule si bruyante se dispersait maintenant sans un mot, espérant
une trêve, craignant plus encore l’entrée des redoutables armées prussiennes et
russes ; les bandes de miséreux, sortis des bas-fonds, indiqueraient les
maisons riches pour rafler une part du butin.
    Octave se dépêchait. Il avait rendez-vous au numéro 36
de la rue de l’Échiquier, chez ce Lemercier qui recevait le Comité royaliste.
Il cogna à la porte du pavillon, La Grange en personne lui ouvrit :
    — Vous avez trouvé sans difficultés, je vois.
    — Grâce au plan que vous m’avez dessiné, répondit ce
menteur d’Octave.
    — Peste ! vous avez du sang sur la manche !
    — J’ai aidé à porter des blessés.
    — Quelle abnégation, mon cher !
    — Si j’avais refusé, je me serais fait remarquer.
    — C’est vrai…
    La plupart des membres du Comité étaient arrivés, assis à
califourchon sur des chaises de tapisserie ou vautrés dans des fauteuils
gothiques. Le soleil entrait par les fenêtres, filtré par leurs petits carreaux
de verre jaune. La Grange présenta Octave sous le nom de Blacé, et il nomma ses
comparses, Morin, Davaray, Poisson, Brigard, Laporte, Gourbillon,
fonctionnaires impériaux prêts à trahir, marchands, un ou deux nobliaux. Ces
messieurs commençaient à poser quelques questions à Octave sur les humeurs de Londres,
mais celui-ci n’eut pas besoin de réciter la leçon qu’il avait apprise du vrai
Blacé, car Sémallé entra dans la pièce en se frottant les mains. L’un des
conjurés s’occupa de son manteau et du chapeau qu’il tendait, un second lui
céda son fauteuil confortable mais il préféra dominer l’assemblée en restant
debout :
    — Mes amis, dit-il, nous avons de quoi nous réjouir,
mais il dépend de notre activité de changer une heureuse situation en triomphe.
Je vous explique…
    À cause de ce fourgon de bagages vides qui l’avait intrigué,
Sémallé avait suivi à distance le carrosse qui devait emmener Talleyrand à
Blois, près du gouvernement encore légal et de l’impératrice. L’équipage avait
roulé très lentement jusqu’à la barrière de la Conférence, avant Chaillot.
    — Monseigneur voulait à l’évidence qu’un maximum de
gens le voient s’en aller.
    — Pourquoi diable ?
    — Pour témoigner, pardi, qu’il avait obéi aux ordres du
Conseil de régence, parce qu’en réalité, je vous l’affirme, il n’est pas parti.
À l’heure qu’il est, je le devine qui manigance dans son hôtel de la rue
Saint-Florentin.
    — Un faux départ…
    — Il a fait semblant, oui. À la barrière de la
Conférence, le piquet de garde l’arrête, lui réclame son passeport et il
s’exclame, outré : « Mais enfin ! vous ne savez pas qui je
suis ? » La comédie était bien agencée. Le chef de poste,
M. de Rémusat, était de mèche. Il a prétexté des ordres stricts pour
lui interdire le passage. D’ailleurs, quand des gardes sont intervenus en sa
faveur pour qu’il s’en aille, Monseigneur était furieux, il s’est écrié de sa
voix fluette : « N’insistez pas ! Un affront suffit ! On
m’empêche de remplir mon devoir, eh bien tant pis, je reste ! »
J’étais à cheval, un peu plus loin au bord du quai, j’ai assisté à la scène.
J’en ai su plus tard les détails par notre indispensable Jaucourt…
    — À quoi servait ce manège ?

— Monseigneur veut donner des gages à tous les partis,
même à celui de Buonaparte. Vous savez sa prudence.
    — Justement, intervint Octave, cela peut signifier
qu’il envisage un retour possible de l’Empereur, et qu’il se couvre.
    — Ne dites pas l’Empereur, mon cher

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