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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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un
grand soleil ne savait pas sécher la boue noire et gluante de Paris, après des
semaines de pluie. Ils rasaient les murs par instinct, pour éviter de recevoir
sur le crâne le contenu d’un pot de chambre, mais les gens se bouclaient ce
soir dans leurs maisons, aucun d’eux n’aurait le courage de pousser les
volets ; chaque son devenait suspect, ils tremblaient en entendant
résonner des pas, ils s’attendaient à la reprise de la bataille, cette fois à
l’intérieur de la ville, puisque personne ne les avait informés de la reddition
négociée Au petit jardinet, un cabaret de la Villette. D’un vaste
moulinet du bras, La Grange désignait les façades closes :
    — Ils vont vivre leur dernière nuit de peur.
    — La guerre est finie ! ajoutait Morin.
    — Peut-être, dit Octave.
    —  Peut-être ? s’étonnait le marquis.
    — Je réfléchis à ce qui peut arriver et que nous
n’avons pas prévu…
    — L’heure est à l’action, mon cher, non aux
doutes !
    — C’est bien vrai, reprenait Morin.
    La veille, Octave avait consulté la fiche de Claude Marie
Morin qu’il avait tirée d’un dossier de police, à l’hôtel de Pommereul. L’homme
représentait cette large partie versatile de la bourgeoisie et des milieux
artistes : secrétaire de Masséna pendant le siège de Gênes, il avait écrit
des poèmes épiques à la gloire de l’Empereur, il avait chanté le passage du
Saint-Bernard, composé une élégie sur l’incendie de Copenhague, une ode à
l’impératrice Marie-Louise, tout cela publié par l’imprimeur Michaud chez qui
ils se rendaient en procession pour une besogne contraire ; le fourbe se
réjouissait désormais de la chute de son dieu, et il répétait, joyeux :
    — Vingt ans de guerre et c’est fini !
    Octave n’en était pas certain. À Fontainebleau, que faisait
l’Empereur ? Il allait rameuter une armée disparate mais farouche, rien
n’était joué. Ils tournèrent à droite devant le théâtre Feydeau, ils entendaient
grincer des roues du côté de la rue Montmartre, ils distinguaient même des
chevaux maigres qui tiraient des caissons ; des grenadiers, la tête basse,
glissaient comme des fantômes. Pour éviter ces régiments en retraite, les trois
hommes empruntèrent des ruelles. Ils parvinrent ainsi à l’orée de la place des
Victoires.
    Il y avait des soldats partout, couchés sur le sol, assis
contre la pyramide qui relatait cette campagne d’Égypte dont certains se souvenaient.
D’autres déambulaient entre les groupes avachis, l’habit déchiré, noircis de
poudre et de terre, tristes, silencieux, les os glacés par la fraîcheur du
soir, l’estomac vide. Des tirailleurs s’affairaient sur des échelles, avec
leurs baïonnettes ou des haches, contre la palissade compliquée qui cachait la
statue en bronze du général Desaix, tué à Marengo, un monument colossal au
centre de la place, haut de six mètres, que les pudibonds du quartier avaient
demandé qu’on voile car le héros y était représenté entièrement nu, comme un
Grec de l’Antiquité. La statue reparaissait au fur et à mesure que les soldats
dépiautaient les planches horizontales pour les brûler ; ils avaient
dégagé le visage et les cheveux flottants, puis le torse, ils en étaient aux
hanches. La Grange et les deux autres contournèrent la place qui s’illuminait
maintenant aux feux de vingt bivouacs. Ils arrivèrent près du Palais-Royal, à
l’angle de la rue des Bons-Enfants : Michaud y tenait son imprimerie, en
face d’une boutique à l’enseigne du Mamelouk où l’on vendait des châles.
    Michaud les reçut en tablier de cuir, les manches de sa
chemise roulées aux coudes. Il les conduisit dans son atelier en demi-sous-sol,
une pièce voûtée qui sentait l’encre, éclairée par des quinquets suspendus dont
il s’empressa d’augmenter la lumière.
    — Le texte ? demanda Michaud.
    — Le voici, dit Morin en déroulant la feuille de
Sémallé qu’il sortait de sa poche.
    — Ne perdons pas de temps.
    — En une heure, vous pouvez en tirer combien ?
    — Environ quatre cents.
    — Seulement ? dit Octave.
    — Comment ça ? Je n’ai pas de machine à vapeur
comme à Londres, monsieur ! je suis un simple artisan et je n’ai pas les
moyens d’aller plus vite.
    — Je le sais bien, dit Morin.
    — Vous avez eu à vous plaindre de mes services ?
    — Allons ! pas de chamailleries, dit un La Grange
impatient.
    Octave observait la

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