L'absent
rue par un soupirail grillagé.
L’imprimeur agençait le texte qu’il avait sous les yeux, assemblant les
caractères qu’il tirait de leurs casiers en bois.
— Nous pouvons vous aider ?
— Surtout pas, grognait Michaud. C’est un métier.
Il encrait les lettres au pinceau, et feuille à feuille il
actionnait sa machine dont le bruit s’amplifiait sous les voûtes et dans le
calme de la nuit tombante. La Grange prit la première affiche pour la lire à
mi-voix sous une lampe :
Habitants de Paris, l’heure de votre délivrance est
arrivée. Qu’un sentiment, étouffé pendant tant d’années, s’échappe avec les
cris mille fois répétés de Vive le roi ! Vive Louis XVIII !
Vivent nos glorieux libérateurs !
— Silence ! dit soudain Octave, toujours le nez au
soupirail.
— Quoi ?
— Silence, je vous dis, je vois des guêtres qui
s’approchent.
— Ce n’est rien, dit Michaud en s’activant sur sa
presse manuelle. Nous sommes derrière la Banque de France, et les gardes
nationaux patrouillent comme d’habitude.
— Ce n’est pas une soirée habituelle, insistait Octave,
d’ailleurs ils stationnent devant la porte, ils parlent entre eux…
Un coup de crosse contre la porte établit enfin le silence
et Michaud soupira :
— Ne bougez pas, j’y vais. Je les connais, ceux du
quartier.
Il grimpa les trois marches, laissa la porte de
communication entrebâillée pour que nos comploteurs puissent suivre la
conversation avec l’officier de la garde nationale, un tailleur autrefois à la
mode :
— C’est bien du vacarme, à cette heure !
— J’ai un travail en retard.
— Malgré les événements ?
— À cause d’eux. Je n’ai plus de commis, alors je m’y
mets moi-même et à point d’heure.
— Tout seul ?
— Oui.
— Ah non, dit une autre voix, pour sûr y avait une
agitation pas ordinaire, que j’ai vue d’mes yeux.
— On m’a livré du papier.
— Je peux visiter tes ateliers ?
— Bien sûr, mais pourquoi ? Allez, j’offre une
bouteille pour vous aider à passer la nuit !
Il y eut des rires, des claques dans le dos, un va-et-vient,
la porte de l’entrée se referma et Michaud se remit devant sa presse :
— Ils vont revenir, je le sais, mieux vaut que vous
partiez discrètement…
— Mais nos affiches ?
— Il y en a une trentaine déjà tirées, prenez-les, je
continuerai et tout sera prêt demain matin pour nos colleurs.
— Si les gardes reviennent, dit Octave, ils vont lire
notre prose.
— Rassurez-vous, je leur expliquerai que j’imprime pour
un théâtre qui s’apprête à rouvrir. Je vais poser sur nos tirages des affiches
plus anciennes…
Il montrait, en pile, les épreuves qui annonçaient un
vaudeville de Désaugiers et Gentil, L’Ogresse, où le comique Tiercelin
avait triomphé l’année précédente.
Octave s’accoudait à la rambarde d’une fenêtre ouverte sous
les toits. En se penchant, il reconnaissait les clochetons de cet Hôtel de
Ville dont ils devaient s’emparer à l’esbroufe. Derrière lui, La Grange et
Morin achevaient un repas sommaire en buvant de l’eau vinaigrée pour rester
sobres. De sa position en nid d’aigle, au coin du quai Pelletier, Octave
dominait les deux rives de la Seine constellées par les points rougeoyants des
bivouacs. Il alla chercher la lorgnette dans la poche de sa redingote, posée
sur un dossier de chaise. Le marquis se leva en s’étirant :
— Allons dormir, dit-il, même deux heures. Nous aurons
besoin de nos forces dès l’aube.
La Grange se retira dans la pièce attenante et Morin dans sa
chambre, au bout d’un couloir. Octave se contentait d’un sofa. Il resta seul
dans le salon, déplia sa longue-vue et la promena sur les campements de
l’armée. Très tôt, ces hommes allaient reformer des colonnes et quitter Paris
par les routes de l’ouest, mais peut-être leurs officiers allaient-ils les
conduire à Fontainebleau pour les placer sous les ordres de l’Empereur. Octave
s’interrogeait sur son propre sort. Si les royalistes réussissaient, par leurs
manœuvres et des complicités, à installer Louis XVIII sur le trône, des
émigrés reviendraient de Londres, qui avaient connu l’authentique Blacé, il
faudrait alors les éviter et fuir la capitale. S’il partait cette nuit ?
Il avait le temps de courir rue Saint-Sauveur, de changer de tête et d’habit,
d’empocher l’or prélevé dans les bagages de ce
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