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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Blacé, dites Buonaparte comme nous. Quoi qu’il en soit, nous avons Talleyrand sous la
main, bien entouré par les partisans de notre cause…
    Sémallé, agacé par la remarque d’Octave, hélas juste,
préféra passer sans délai à l’ordre du jour. Jaucourt lui avait affirmé que les
alliés étaient en train de négocier avec Mortier et Marmont l’arrêt des
hostilités et le retrait de leurs troupes, menacées d’extermination. Joseph
Bonaparte, avant de s’enfuir au galop, avait lui-même donné l’ordre à ses
maréchaux de signer un armistice. Voilà pourquoi les canons s’étaient tus. Les
débris des armées françaises traverseraient Paris cette nuit, ils emprunteraient
la route de Rennes pour éviter une jonction avec les troupes de Napoléon qu’on
savait à l’est. Puis le comte de Sémallé détailla le rôle de chacun pour les
heures décisives du lendemain :
    — La capitulation doit être signée, dit-il en regardant
la pendule. Les alliés entreront demain dans Paris. À nous de préparer, à notre
façon, l’accueil de leurs souverains. Notre manifestation doit les
impressionner. La Grange, vous vous chargerez de l’Hôtel de Ville et des
mairies, avec quelques hommes munis de proclamations et de cocardes blanches à
distribuer…
    — Il y a encore des Jacobins qui songent à la
république, dit La Grange. Les mairies peuvent mobiliser la garde nationale
pour contrarier notre mouvement.
    — Il faut précisément devancer ce genre d’ordre que peut
lancer n’importe quel fonctionnaire zélé !
    — Nous sommes si peu nombreux, commença Morin.
    — Souvenez-vous de la conspiration de Malet, coupa
Sémallé. Il y a deux ans, combien étaient-ils pour s’emparer du pouvoir ?
Cinq ? Six ? Vous en étiez, La Grange.
    — Et nous avons échoué.
    — De peu ! Les circonstances d’aujourd’hui nous
servent, la confusion tourne en faveur des hommes décidés.
    — Les Parisiens ont déjà tellement lu de proclamations,
vont-ils croire à la nôtre ?
    — Il ne s’agit pas de dire la vérité, mon ami, mais de
créer une situation. Voici le texte. Morin, occupez-vous de son impression.
Vous l’accompagnerez, La Grange, avec qui vous voulez.
    Morin prit la feuille et la roula. Le comte
poursuivait :
    — Les autres doivent se tenir prêts aux endroits qui
leur ont été assignés, avec des cocardes et les proclamations qu’ils iront
chercher à l’imprimerie. Je donnerai le signal de la distribution : de
bonne heure, je ferai arborer deux drapeaux blancs de chaque côté de ma maison,
l’un sur la rue Saint-Honoré, l’autre sur le boulevard de la Madeleine…
    La Grange et Morin se levèrent, mirent leurs manteaux,
Octave allait les suivre quand le comte les arrêta :
    — Langeron commande l’infanterie russe. Il campe sur
les hauteurs de Montmartre. Je demande un homme dévoué pour le prévenir de
cette grande manifestation royaliste qui va éclater.
    — Moi ! dit en premier le comte de Douhet, un
jeune homme en gilet qui bombait le torse.
    — La mission est périlleuse, l’avertit Sémallé.
    — À la bonne heure !
    — Voici un mot que j’ai écrit pour Langeron, vous lui
remettrez. Essayez de connaître les intentions des souverains, et leurs
dispositions pour leur entrée dans Paris.
    Quelqu’un tambourina à la porte du pavillon. Les conjurés se
figèrent. Lemercier, un pistolet à la main, suivi par le comte, s’approcha de
la porte à pas de loup. Le comte ouvrit brusquement le battant sur un petit
homme replet, en livrée, très essoufflé.
    — Qui êtes-vous ? demanda Lemercier.
    — Je le connais, dit le comte, c’est l’un des valets de
M. Jaucourt. Qu’y a-t-il, Ernest ?
    — Monsieur Jaucourt m’envoie…
    — Reprenez votre souffle.
    — Vous prévenir…
    — Dites !
    — L’Empereur…
    — Oui ?
    — Il est…
    — Où diantre ?
    — À Fontainebleau…
    Les autres s’étaient approchés ; comme ils n’avaient
pas entendu ce que le valet Ernest avait bredouillé, le comte de Sémallé, très
calme, répéta :
    — Buonaparte est à Fontainebleau.
    Octave avait pâli et le comte s’en était aperçu :
    — Rassurez-vous, monsieur de Blacé, cela ne dérange pas
nos plans.
     
    La Grange et Morin s’en allaient à l’imprimerie, et Octave
avec eux. Ils marchaient en file dans des rues étroites, ils se tordaient les
chevilles entre les pavés ronds, crottant leurs semelles parce que même

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