Labyrinthe
moment de lui dire pourquoi tu es venue.
« Père, puisque vous… »
Pelletier l'interrompit d'un geste.
« Y a-t-il quelque indication qui donnerait à penser que l'on a retrouvé votre trace ? Que ce soit les gens de Chartres ou d'autres personnes ?
— Jusqu'à ce jour, non. Plus de quinze ans se sont écoulés depuis ma fuite, et je puis vous assurer que, durant tout ce temps, il n'y eut point de jour sans que je vécusse dans la crainte de me faire égorger. Cependant, rien ne s'est passé qui sortît de l'ordinaire. »
Alaïs ne pouvait rester coite plus longtemps.
« Ce que j'ai à dire, père, est justement d'à-propos. Je dois vous relater ce qu'il est advenu depuis votre départ de Carcassona. »
Au moment où Alaïs eut achevé sa narration, le visage de son père était cramoisi. Elle craignit qu'il ne s'abandonnât à quelque emportement parce que ni elle ni Siméon n'auraient su l'arrêter.
« La trilogie est éventée, fulmina-t-il. Il n'y a aucun doute à ce sujet.
— Calmez-vous, Bertrand, le tança Siméon. Votre courroux obscurcit votre jugement. »
Alaïs se tourna vers la fenêtre, consciente du bruit croissant qui montait de la rue. Pelletier aussi, car après une brève hésitation, il leva la main.
« Les cloches se sont remises à sonner. Je dois m'en retourner. Le vicomte m'attend. Il me faut pareillement réfléchir à ce que vous m'apprenez, Alaïs, et à ce qui doit être entrepris. Pour l'heure, nous devons songer à notre départ. » Il s'adressa à Siméon : « Vous nous accompagnez, mon ami. »
Pendant que l'intendant s'exprimait, Siméon était allé ouvrir un coffre de bois sculpté, installé à l'extrémité de la pièce. Alaïs se rapprocha. Le couvercle s'ornait de velours pourpre, froncé comme les tentures entourant un lit.
Siméon secoua la tête.
« Je ne voyagerai point avec vous. Je vous suivrai plutôt en compagnie des miens. C'est pourquoi, pour plus de sûreté, vous devrez emporter ceci. »
Alaïs vit le vieil homme glisser la main vers la base du coffre. Il y eut un déclic qui fit apparaître un tiroir secret. Quand le juif se redressa, il tenait un objet entouré d'une jaquette en peau de mouton.
Les deux hommes échangèrent un regard, puis Pelletier s'empara du livre et l'enfouit sous sa cape.
« Dans sa lettre, Harif fait mention d'une sœur à Carcassona, déclara Siméon.
— Une amie de la Noublesso , selon mon interprétation. Je ne pense point que cela signifie davantage.
— C'est pourtant bien une femme qui est venue quérir le second livre, Bertrand, objecta doucement le vieil homme. Sur le moment, j'ai présumé comme vous qu'elle n'était qu'un émissaire. Mais à la lumière de la lettre que Harif vous a fait parvenir… »
Pelletier balaya l'argument de la main :
« Je ne peux concevoir que Harif ait pressenti une femme pour gardien, quelles que soient les circonstances. Il ne prendrait point un tel risque. »
Alaïs se mordit la langue pour s'empêcher d'intervenir.
« Nous devons néanmoins envisager cette possibilité, insista Siméon avec un haussement d'épaules.
— Dans ce cas, quel genre de femme était-ce ? demanda impatiemment Pelletier. Une personne décemment habilitée à garder un si précieux objet ?
— Pour parler franc, non, répondit Siméon. Elle n'était ni de haute lignée ni de basse extraction. Elle n'avait plus l'âge de porter des enfants, bien qu'un jeune garçon l'accompagnât. Elle se rendait à Carcassona en passant par Servian, la ville où elle demeure. »
À ces mots, Alaïs se redressa sur son siège.
« Ce sont là de bien maigres informations, se plaignit Pelletier. Ne vous a-t-elle point dit son nom ?
— Nenni, non plus que je ne le lui ai demandé, dès lors qu'elle était porteuse d'une lettre de Harif. Elle s'en retourna après que je lui eus fait provisions de pain, de fromage et de fruits pour le voyage. »
Le trio atteignait à présent la porte accédant à la rue.
« Il ne me plaît guère de vous abandonner, déclara abruptement Alaïs, soudain remplie de craintes pour le vieil homme.
— Tout ira bien, mon enfant, lui assura Siméon. Esther se chargera d'empaqueter les objets que je désire emporter. Je voyagerai anonymement dans la foule. Ce sera plus sûr pour nous tous.
— Le quartier juif se trouve à l'est de Carcassona, au bord de l'Aude, non loin du bourg de Sant-Vicens. Sitôt arrivé, faites-moi tenir un mot.
— Je n'y
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