Labyrinthe
de Cabaret. Je ne puis croire que l'abbé de Cîteaux, si zélé et haineux qu'il soit à l'endroit des hérétiques, pût cautionner le meurtre de femmes et d'enfants chrétiens en état de péché.
— L'on raconte que, lorsqu'on demanda à Arnaud Amalric comment séparer les chrétiens des hérétiques, il aurait répondu : “Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens.” D'après la rumeur qui circule à tout le moins. »
Trencavel et Cabaret échangèrent un regard atterré.
« Poursuivez, commanda Pelletier, achevez votre narration.
— Les grandes cloches de la cathédrale sonnaient le tocsin. Femmes et enfants s'étaient rassemblés dans les églises de Sant-Jude et de Santa Maria Magdalena. Ils étaient des milliers, entassés comme des animaux dans un enclos. Les prêtres catholiques tentèrent de s'investir et se mirent à entonner le requiem. Les croisés enfoncèrent les portes et les massacrèrent jusqu'au dernier.
» En quelques heures, la cité entière s'était changée en un abominable charnier. Puis le sac commença. Les plus belles demeures furent livrées à la barbarie et à la rapacité. Dès lors, les barons voulurent intervenir – non par esprit de conscience, seulement parce que gagnés d'une égale cupidité – et tentèrent de contenir les routiers. En réponse, ils se heurtèrent à leur fureur de se voir spoliés de ce qu'ils estimaient avoir bien gagné, c'est pourquoi, contre l'intérêt de tous et chacun, ils allumèrent des incendies. Les maisons de bois des bas quartiers s'enflammèrent comme des torches. Les poutres de la cathédrale s'embrasèrent et le toit s'effondra, retenant prisonniers ceux qui s'y étaient réfugiés. Le brasier était si féroce que les murs de la cathédrale se fendirent par le milieu.
— Dites-moi ceci, amic , combien ont survécu ? demanda le vicomte.
Le musicien baissa piteusement le front.
« Pas un, messire. Tous sont morts, excepté quelques-uns d'entre nous qui sommes parvenus à prendre la fuite.
— Vingt mille âmes massacrées en l'espace d'une matinée, murmura Raymond-Roger, consterné. Comment cela se peut-il ? »
Personne ne répondit. Aucun vocable n'était assez fort pour qualifier une telle horreur.
« Vous avez assisté à des événements qu'aucun homme ne devrait voir, Pierre de Murviel. En venant nous apporter la triste nouvelle, vous avez fait montre de grand courage. Carcassona est votre débitrice et je veillerai à ce que vous soyez récompensé. Avant de vous retirer, répondez cependant à cette ultime question : le comte de Toulouse a-t-il pris part au sac de la cité ?
— Je ne le crois pas, messire ; l'on rapporte qu'il s'est cantonné dans le campement des Français. »
Trencavel s'adressa à Pelletier :
« C'est toujours bon à entendre.
— Au cours de votre voyage jusqu'à la Cité, n'avez-vous vu personne sur les routes ? voulut savoir l'intendant. La nouvelle du massacre s'est-elle répandue ?
— Je ne saurais dire, messire. J'ai évité les grands chemins pour suivre les gorges de Lagrasse, et n'y ai aperçu nul soldat. »
Le vicomte interrogea du regard les consuls, au cas où ils auraient quelque question à ajouter. Aucun ne demanda la parole.
« Fort bien, conclut-il à l'intention du musicien. Vous pouvez vous retirer. Une fois encore, nous vous remercions. »
Murviel parti, Trencavel se tourna vers Pelletier :
« Comment se fait-il que nous n'en ayons rien su ? Qu'aucune rumeur ne nous soit parvenue défie l'entendement. Quatre jours se sont écoulés depuis cette abomination.
— Si Murviel dit vrai, qui d'autre que lui aurait pu colporter la nouvelle ? répliqua amèrement Cabaret.
— Quand bien même, objecta le vicomte en balayant l'argument de la main. Mandez sur-le-champ des batteurs d'estrade, aussi nombreux que vous le pourrez. Nous devons savoir si l'host entend occuper Besièrs ou s'il marche déjà vers l'Ouest. Sa victoire pourrait l'inciter à progresser plus promptement. »
Chacun s'inclina révérencieusement quand il se leva.
« Que les consuls répandent la macabre nouvelle à travers la Ciutat . Je me rends de ce pas à la chapelle Santa-Maria. Dites à mon épouse de m'y retrouver. »
Pelletier eut la sensation que ses jambes étaient enserrées dans une armure, lorsqu'il monta l'escalier conduisant à ses appartements. Une sorte d'étau lui comprimait la poitrine dans un carcan l'empêchant de respirer librement.
À sa porte, Alaïs
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