Labyrinthe
des loqueteux allant nus pieds avec, pour toute fortune, les haillons qu'ils avaient sur le dos. Les couleurs rouge, vert et or des évêques et des barons français flottaient haut dans les cieux. Ils érigèrent des hampes pour leurs oriflammes et abattirent des arbres pour enclore leurs animaux.
— Qui fut mandé pour parlementer ?
— L'évêque de Besièrs, Renaud de Montpeyroux.
— On affirme que c'est un traître, messire, murmura Pelletier à l'oreille du vicomte. Qu'il est d'ores en avant sous la croix.
— L'évêque Montpeyroux est revenu dans la cité, porteur d'une liste de soi-disant hérétiques, dressée par les légats du pape. J'ignore quel en était le nombre exact, messire, plusieurs centaines assurément. S'y trouvaient les noms des personnes parmi les plus nobles et les plus influentes de la cité de Besièrs, ainsi que celui des adeptes de l'Église nouvelle, ceux que l'on accuse d'être Bons Chrétiens . Si les consuls acceptaient de leur livrer ces hérétiques, la ville serait épargnée. Dans le cas contraire…
— Quelle a été la réponse des consuls ? s'enquit Pelletier, songeant que c'était là un premier pas vers une possible alliance contre les Français.
— Qu'ils préféraient mourir noyés la tête dans la saumure que de se rendre ou de livrer leurs concitoyens. »
À ces mots, Trencavel retint un soupir.
« L'évêque eut tôt fait de quitter la ville, accompagné d'un petit nombre de prêtres catholiques. Le commandant de la place, Bernard de Servian, entreprit aussitôt d'organiser la défense. »
Le musicien s'interrompit, la gorge serrée. Même Congost, plongé dans ses parchemins, leva les yeux pour le regarder.
« Au matin du vingt-deuxième jour de juillet, tout était encore quiet. Le soleil ardait, dès les petites heures du matin. Une poignée de croisés, pas même des soldats, s'en allèrent à la rivière sous les fortifications sud de la cité du haut desquelles des jeunes gens les observaient. Des injures furent échangées. L'un des routiers alla même jusqu'au pont en proférant menaces et jurons. Cela suffit pour enflammer les esprits des garçons qui, armés de piques et de massues, décidèrent de châtier les Français. Avant que qui oncques ne comprît quoi ou qu'est-ce, ils dévalèrent les pentes et, en un instant, trucidèrent le routier. Puis, s'emparant de son cadavre, ils le jetèrent dans la rivière. »
Pelletier observa le vicomte à la dérobée. Il était pâle comme un linge.
« Du haut des murs, les citadins exhortaient les jeunes gens à revenir derrière les murs de la cité, continua le musicien. Mais ils étaient trop ivres de victoire pour entendre raison. Leurs vociférations attirèrent l'attention du capitaine des mercenaires, le Roi , ainsi que ses hommes le surnommaient. En voyant la porte ouverte, il donna l'ordre d'attaquer. Finalement, les jeunes écervelés prirent enfin conscience du danger, trop tard, hélas. Les routiers les taillèrent en pièces. Les rares qui en réchappèrent tentèrent de refermer la porte, sinon que, plus alertes et mieux armés, les mercenaires les en empêchèrent et, s'engouffrant dans la place, parvinrent à la maintenir ouverte.
» En quelques instants, les Français passèrent à l'attaque, enfonçant les portes à coups de bélier, dressant des échelles pour escalader les murailles. Bernard de Servian déploya toutes ses énergies pour défendre les remparts et tenir la position, mais les événements s'étaient précipités, et les mercenaires tinrent l'accès de la porte.
» Une fois les croisés dans les murs, le carnage commença. L'on voyait des corps partout, morts ou mutilés ; l'on marchait dans un bain de sang. Des enfants furent arrachés des bras de leur mère et empalés sur des piques et des épées. Les têtes furent tranchées et dressées sur les murailles pour être livrées aux corbeaux. L'on eût cru une rangée de gargouilles de chair et de sang, hurlant notre défaite. Tout ce qui se présentait fut impitoyablement massacré, sans égard pour l'âge ou le sexe. »
Le vicomte ne pouvait rester silencieux plus longtemps.
« Comment se fait-il que les légats du pape ou les barons français n'aient point mis un terme à pareil carnage. En avaient-ils connaissance ? »
Murviel redressa la tête.
« Entièrement, messire.
— Le massacre d'innocents est contraire à tout sens de l'honneur, à toute convention de guerre, intervint Pierre-Roger
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