Labyrinthe
l'attendait.
« Avez-vous apporté le livre ? » demanda-t-elle impatiemment. Devant la mine décomposée de son père, elle ajouta : « Que se passe-t-il ? Qu'est-il advenu ?
— Je ne suis point allé à Sant-Nasari, ma fille. De bien tristes nouvelles nous ont été rapportées, répondit-il en se laissant tomber sur une chaise.
— Quelle sorte de nouvelles ?
— Besièrs est tombée voilà trois ou quatre jours. Nul n'y a survécu. »
Alaïs tituba vers un banc.
« Ils ont tous… trépassé ? bégaya-t-elle, horrifiée. Femmes et enfants ?
— Nous touchons là aux confins de la perdition, déclara Pelletier. Si l'on peut perpétrer de telles atrocités sur des innocents…
— Que va-t-il advenir, à présent ? » s'enquit-elle en prenant place auprès de lui.
Pour autant qu'il s'en souvînt, jamais Pelletier n'avait perçu pareille frayeur dans la voix de sa fille.
« Nous ne pouvons qu'attendre, lâcha-t-il avec un geste d'impuissance.
— Cependant, cela ne change rien à notre accord, n'est-ce pas ? demanda-t-elle précautionneusement. J'ai toujours votre agrément pour aller mettre la trilogie en lieu sûr.
— La situation a changé.
— Sauf votre respect, père, se cabra Alaïs, plus décidée que jamais, nous avons, au rebours, toutes les raisons de départir. Si nous ne le faisons point, les manuscrits seront pris entre les murs de la Cité et cela, vous ne pouvez le souhaiter. » Elle s'interrompit. Il ne répondit rien. « Après tous les efforts que Siméon, Esclarmonde et vous-même avez déployés pour garder les livres en sûreté, il est exclu de vous soustraire à la tâche qui vous est impartie.
— Le malheur qui a frappé Besièrs ne surviendra point céans, rétorqua l'intendant avec fermeté. Carcassona peut soutenir un siège, et elle le fera. Les livres sont en lieu sûr entre ses murailles.
— Je vous conjure de ne point revenir sur votre parole, implora-t-elle en lui prenant la main.
— Arèst , Alaïs, en voilà assez, trancha-t-il. Nous ignorons où se trouve l'host. La tragédie qui a frappé Besièrs appartient jà à l'Histoire. De nombreux jours se sont écoulés, même si la nouvelle vient à peine de nous parvenir. Une avant-garde est peut-être à quelques lieues de la Ciutat . Vous laisser départir reviendrait à signer votre arrêt de mort.
— Cependant…
— Je vous l'interdis ; le péril est trop grand.
— Je suis disposée à prendre le risque.
— Non, Alaïs ! vitupéra-t-il, davantage par peur que par colère. Je refuse de vous sacrifier. Cette mission est la mienne, et non la vôtre !
— S'il en est ainsi, accompagnez-moi ! s'écria-t-elle. Prenons les livres et partons pendant qu'il en est encore temps !
— Le péril est trop grand, répéta obstinément Pelletier.
— Pensez-vous que je ne le sache point ? Il se peut, assurément, que notre voyage s'achève sur le fil de l'épée du Français. Mais mieux vaut périr en ayant tout tenté que de laisser la crainte de ce qui risque d'advenir prendre le pas sur notre courage ! »
Étonnamment, et au grand dam d'Alaïs, Pelletier esquissa un sourire.
« Votre grandeur d'esprit vous honore, filha , dit-il, non sans amertume. Mais les livres demeureront dans la Cité. »
Alaïs fixa son père d'un air consterné, puis, tournant les talons, s'enfuit de la chambre.
47
Besièrs
Au cours des deux journées qui suivirent leur victoire inattendue, les croisés se cantonnèrent dans les prairies fertiles entourant la cité. Pareil exploit avec si peu de pertes relevait du miracle. Dieu n'aurait pu s'exprimer pu clairement quant à la justesse de leur cause.
Au-dessus d'eux subsistaient les ruines fumantes de ce qui, naguère, avait été une grande citadelle. Des nuages de cendres grises s'élevaient dans un ciel indécemment azuréen, et que les vents répandaient sur le pays vaincu. De temps à autre, leur parvenait le grondement sourd d'une toiture ou d'un pan de mur en train de s'écrouler.
Le lendemain, l'host leva le camp et fit route vers le Sud en direction de la cité romaine de Narbonne. Flanqué des légats du pape, chevauchait en tête l'abbé de Cîteaux, fort de l'autorité accrue que lui conférait sa victoire dévastatrice sur ceux qui avaient osé le braver. Qu'elle fût blanche ou dorée, chaque croix paraissait scintiller comme la plus belle des parures sur le dos des combattants de Dieu. Chaque crucifix resplendissait comme un brillant
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