Labyrinthe
boucliers. Les rats s'agglutinaient sur les marches des églises pour n'être pas emportés. Le beffroi fut frappé par la foudre. Par bonheur, il ne prit pas feu.
Les soldats tombèrent alors à genoux en se signant, priant Dieu de les épargner. Qu'ils fussent beaucerons, champenois ou bourguignons, ils n'avaient jamais connu d'intempéries aussi extrêmes.
Contre toute attente, la tempête s'éloigna aussi vite qu'elle avait frappé. L'atmosphère s'en trouva agréablement rafraîchie. Les croisés perçurent d'un monastère voisin le tintement des cloches rendant grâce aux cieux. Signe que le pire était passé, ils quittèrent leur abri et se mirent à l'ouvrage. Les écuyers partirent en quête de pâturages pour les chevaux, tandis que les serviteurs déballaient les effets de leurs maîtres ou faisaient du feu.
Le campement prit peu à peu forme.
Le crépuscule descendit sur un ciel ensanglanté. Alors que s'éloignaient les dernières hardes des nuées, les armées venues du Nord eurent un aperçu des tours de Carcassonne soudain révélées.
La Cité semblait sortie de terre, forteresse de pierre contemplant avec hauteur le monde des humains. Rien de ce qu'avaient ouï dire les croisés de leur prochaine conquête ne les avait préparés à semblable vision. Aucun mot n'existait pour rendre justice à sa splendeur.
Carcassonne leur apparaissait. Magnifique, majestueuse, inexpugnable.
48
Quand il revint à lui, Siméon était dans une étable, non plus dans les bois. Il se souvenait d'avoir voyagé longtemps, ballotté sur une selle qui lui avait endolori les côtes.
Une odeur pestilentielle infestait l'endroit, mélange de sueur, de suint, de paille humide et de quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier, mais tout aussi nauséabonde qui n'était pas sans rappeler celle de fleurs pourries. De nombreux harnais pendaient à un clou et une fourche était appuyée dans un coin, non loin d'une porte basse. Sur le mur qui lui faisait face, cinq ou six anneaux scellés dans le mur pour y attacher des bêtes de somme.
Siméon baissa les yeux. La cagoule dont on lui avait recouvert la tête gisait près de lui sur le sol de terre battue. Ses bras et ses jambes étaient entravés par des liens.
Toussant, s'efforçant de recracher les fibres de tissu restées au fond de sa gorge, il se redressa jusqu'à se mettre sur son séant. Il surmonta l'engourdissement de ses membres et recula en direction de la porte. Cela prit du temps, mais quel ne fut pas son soulagement de pouvoir enfin reposer ses épaules et son dos. Patiemment, il réussit à se mettre debout et, alors que sa tête touchait presque le plafond, lança quelques bourrades contre la porte. Le bois craqua, gémit, sans lui laisser plus d'espoir. Condamnée de l'extérieur, la porte ne céderait pas.
Siméon n'avait pas notion de l'endroit où il se trouvait, près de Carcassonne ou plus loin dans la campagne. Il ne se rappelait qu'avoir traversé les bois, puis de grands espaces découverts. D'après le peu qu'il connaissait de la région, il supposa que ce devait être aux environs de Trèbes.
Un filet de lumière bleutée filtrait sous la porte, preuve qu'il ne faisait pas encore nuit. Au moment où il colla l'oreille au sol, il entendit ses ravisseurs murmurer à proximité.
Ils attendaient manifestement quelqu'un. Cette idée le glaça, tant cela prouvait que l'embuscade ne devait rien au hasard.
Il regagna le fond de l'étable où il finit par sombrer dans un sommeil agité, entrecoupé de réveils en sursaut.
Des éclats de voix le tirèrent de sa léthargie. Sur le qui-vive, il entendit ses gardiens se lever précipitamment, puis le raclement de la barre de bois que l'on retirait d'en travers la porte.
Des ombres apparurent, simples silhouettes se découpant sur un lumineux contre-jour. Siméon cligna des yeux, incapable de distinguer quoi que ce fût.
« Où est-il ? »
Froide, impérieuse, la voix s'exprimait dans un français de bon aloi. Après un instant d'hésitation, quelqu'un leva une torche, révélant Siméon rencogné, clignant des yeux apeurés.
« Qu'on l'amène jusqu'à moi. »
À peine eut-il le temps de reconnaître le principal auteur de l'embuscade, qu'il était empoigné par le bras et jeté aux pieds du Français.
Il leva lentement les yeux. Un visage maigre, empreint de cruauté, l'observait à travers un regard ardoise dénué d'expression. Son vêtement, qui ne portait aucun signe distinctif de
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