Labyrinthe
Avant la tombée de la nuit, quatre cents de nos meilleurs cavaliers bien armés chasseront ces Français de nos coteaux. En outre, nous profiterons de l'effet de surprise. Qu'en dites-vous ? »
Pelletier partageait ce désir de frapper le premier. Il savait aussi qu'un tel acte relevait de la pure folie.
« Il se trouve maints bataillons dans les plaines, messire, ainsi que de petits contingents de routiers, issus de l'avant-garde », objecta l'intendant.
Cabaret vint ajouter sa voix à celle de Pelletier :
« Ne sacrifiez point vos hommes, messire.
— Cependant, si nous frappions les premiers…
— Nous sommes préparés pour un siège, messire, non pour une bataille en terrain découvert. La garnison est fortement armée. Les plus preux de vos chevaliers sont dans nos murs, attendant de vous prouver leur vaillance.
— Néanmoins ?
— Vous ne sauriez les sacrifier en vain, répondit fermement Cabaret.
— Votre peuple vous aime et a foi en vous, renchérit Pelletier. Il est prêt à sacrifier sa vie sur votre seule requête. Nonobstant, il nous faut attendre. Laissons les Français engager le combat les premiers.
— Je crains que la situation qui nous préoccupe ne le doive qu'à mon orgueil, dit Trencavel d'une voix éteinte. J'étais loin de m'attendre à ce qu'elle prît pareille tournure, et surtout en un si court délai. Vous a-t-on relaté comme ma mère se plaisait à emplir le château de danses et de chants, messire Bertrand ? Les troubadours et les jongleurs les plus courus venaient se produire pour son bon plaisir : Aiméric de Pegulham, Arnaud de Carcassès et même Guilhem Fabre et Bernat Alanham de Narbonne. Le temps s'écoulait en fêtes et célébrations.
— J'ai, en effet, ouï dire que c'était la plus belle cour du pays d'oc, et elle le sera encore », sourit Pelletier en posant une main affectueuse sur l'épaule de son maître.
Les cloches s'étaient tues et tous les visages étaient tournés vers le vicomte Trencavel.
Quand ce dernier reprit la parole, l'intendant eut plaisir à constater que toute trace d'atermoiement avait disparu de sa voix. Ce n'était plus le garçonnet évoquant ses enfances, mais un chef à la veille d'une bataille :
« Que les poternes soient closes et les portes condamnées, messire Bertrand, et faites quérir au donjon le commandant de garnison. Nous devrons être apprêtés quand les Français arriveront.
— Peut-être serait-il bon d'envoyer quelques renforts à Sant-Vicens, messire, suggéra Cabaret. C'est par là que l'host attaquera en premier lieu. Et nous ne pouvons renoncer à l'accès à la rivière. »
Trencavel acquiesça d'un signe de tête.
Resté seul, Pelletier s'attarda sur les remparts et laissa son regard errer sur le paysage, comme pour en graver l'image au fond de sa mémoire.
Au nord, les murs de Sant-Vicens péchaient par leur hauteur limitée, et leurs rares tours n'offraient qu'une défense relative. Si l'envahisseur parvenait à gagner le bourg, ses demeures constitueraient un abri idéal pour ses archers. Le bourg sud de Sant-Miquel était apte, quant à lui, à tenir plus longtemps.
Il était vrai que Carcassonne était prête pour soutenir un siège. Les provisions ne manquaient pas, si ce n'est que les réfugiés en surnombre posaient un grave problème qui ne laissait d'inquiéter Pelletier, à savoir celui de l'eau. Moyennant quoi, un garde avait été posté, sur son ordre, devant chaque puits afin de la rationner.
Alors qu'il sortait de la tour Pinte pour traverser la cour, il se prit de nouveau à songer à Siméon. Par deux fois, il avait envoyé François aux nouvelles, et chaque fois, le domestique était revenu bredouille. Aussi son anxiété ne faisait-elle que croître à mesure que les jours passaient.
Après un regard circulaire, il décida que quelques heures sans sa présence ne pouvaient nuire.
Il alla aux écuries.
Pelletier coupa directement à travers prairies et bois, éminemment conscient de l'host qui campait au loin.
Bien que ses rues fussent animées, le quartier juif se révéla d'un calme et d'un silence inhabituel. L'angoisse et la peur se lisaient sur chaque visage, qu'il fût jeune ou vieux. Tous savaient que les combats commenceraient bientôt. Comme l'intendant progressait dans les ruelles, femmes et enfants lui décochèrent des regards anxieux, espérant recueillir quelque raison d'espérer. Pelletier n'avait qu'un visage fermé à leur offrir en
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