Labyrinthe
beau-père.
« Vous voilà moins arrogant, à présent ! Qu'est-ce donc, n'avez-vous plus rien à dire ? Je vous préviens, du Mas, ce n'est pas parce que vous avez épousé ma fille que je m'interdirais de faire un exemple !
— Messire, je n'ai… »
Sans crier gare, l'intendant lui administra au creux de l'estomac un coup de poing appuyé juste assez pour le déséquilibrer.
Surpris, Guilhem recula pour s'adosser au mur.
Mais déjà, Pelletier le saisissait à la gorge et lui poussait la tête contre la pierre. Du coin de l'œil, le jeune homme vit le sirjan posté devant la porte, qui se penchait pour ne rien perdre du spectacle.
« Ai-je été assez clair ? fulmina l'intendant en accentuant sa pression. Je ne vous ois point, gojat . Ai-je été assez clair ?
— Oc , messire », parvint à articuler Guilhem d'une voix étranglée.
Il se sentait comme une puce que l'on s'apprête à écraser. Le sang battait fort dans sa tête.
« Je vous préviens, du Mas. Je vous observe ; je vous attends au tournant. Au moindre faux pas, je ferai en sorte que vous le regrettiez toute votre vie. Nous sommes-nous bien compris ? »
Guilhem pouvait à peine respirer. Il ne parvint qu'à acquiescer d'un mouvement de tête en frottant sa joue contre le mur de pierre. Son beau-père lui lança une ultime bourrade dans les côtes, avant de le relâcher enfin.
Au lieu de gagner le grand vestibule, Pelletier prit la direction opposée, et traversa à grands pas la grande cour.
L'intendant s'était à peine éloigné que le jeune homme se pliait en deux, toussant et se frottant la gorge, inhalant de grandes bouffées d'air comme s'il avait failli se noyer. Il massa quelques instants sa nuque endolorie, puis essuya le sang qui perlait sur sa lèvre fendue.
Peu à peu, sa respiration redevint normale. Il ajusta son vêtement. Les pensées sur la façon dont il se vengerait de Pelletier pour l'avanie qu'il lui avait infligée se bousculaient dans sa tête. C'était la seconde fois dans la même journée. Pareille insulte était trop grave pour être ignorée.
Soudain conscient des voix qui montaient du grand vestibule, Guilhem s'avisa de la nécessité de se joindre aux membres du conseil avant le retour de Pelletier.
Le garde ne cachait pas son amusement.
« Que regardez-vous ainsi ? le tança le jeune homme. Tâchez de tenir votre langue, m'entendez-vous ? Ou vous pourriez amèrement le regretter. »
Ce n'était pas une menace en l'air. Le garde baissa aussitôt les yeux et s'effaça pour laisser passer Guilhem.
« Voilà qui est mieux… »
Les propos comminatoires de son beau-père résonnaient encore à ses oreilles. Guilhem se faufila dans le grand vestibule aussi discrètement qu'il le put. Seuls son visage empourpré et les battements précipités de son cœur attestaient de la semonce dont il venait de faire l'objet.
1. Appelé plus tard « salle des chevaliers ». (N.d.T.)
6
Le vicomte Raymond-Roger Trencavel se tenait debout sous un dais, à l'extrémité du grand vestibule. Si l'arrivée tardive de du Mas ne lui échappa point, il attendait au premier chef celle de son conseiller.
Avec sa tunique écarlate, soutachée d'or au col et aux poignets, sa cape bleu cobalt et sa boucle scintillant dans les rais de lumière qui entraient par les hauts vitraux, Trencavel se présentait dans les atours d'un diplomate et non d'un guerrier. Sur le mur, au-dessus de lui, brillaient du même éclat les armoiries des Trencavel, couvrant deux piques entrecroisées, ces mêmes armoiries qu'il arborait sur sa bannière, son armure et ses vêtements de cérémonie. Elles surplombaient aussi le passage des douves de la Porte Narbonnaise pour accueillir les visiteurs amis, et évoquer concurremment l'histoire qui unissait les Trencavel au peuple du Midi. À la gauche de ces armoiries, une tapisserie à la licorne était accrochée là depuis des temps immémoriaux.
Derrière le dais, dans l'épaisseur du mur, se devinait une porte, laquelle donnait sur les appartements privés du vicomte, situés dans la Tour Pinte, tour de guet et plus ancienne partie du château. Rehaussé de passements d'hermine destinés à exalter l'éclat des armoiries dont il était brodé, un brise-bise du même bleu en masquait l'accès, illusoire protection contre le vent aigre qui s'engouffrait dans la place durant la saison froide. Pour l'heure, une embrasse dorée la maintenait relevée sur le côté.
L'enfance du jeune
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